Nouvellement arrivée dans le paysage de l’édition, la toute jeune maison Agullo a fait d’emblée le choix de s’affranchir des frontières pour aller trouver de par le monde, matière à publier.
A l’occasion du lancement de sa collection, deux titres venant d’horizon très différents ont été offerts à la sagacité des lecteurs.
Je vous parlerai dans quelques temps du roman de l’italien Valerio Varesi, « le fleuve des brumes », mais aujourd’hui c’est en Roumanie que je souhaite vous emmener, en compagnie de Bogdan Teodorescu.
« Spada » est à vrai dire un roman assez désarçonnant. En effet, dès les premiers chapitres, celui se pare des attributs du thriller, avec la promesse sous-jacente pour le lecteur d’être tenu en haleine d’un bout à l’autre de l’histoire.
Dans la capitale roumaine en effet, le corps sans vie d’un individu est retrouvé, la gorge tranchée.
La police a tôt fait d’identifier la victime. Un certain La Mouche bien connu dans le quartier pour être un petit voleur sans grande envergure, qui excelle dans l’art de dépouiller ceux qui ont le malheur de s’essayer à ses jeux de tour de passe-passe.
Quelques jours plus tard de nouvelles victimes viennent s’ajouter au tableau de chasse de celui que l’on surnomme déjà Le Poignard. Elles ont toute en commun de concerner des roms avec un casier judiciaire vierge de toute innocence.
Tueur en série qui opère dans les rue de Bucarest, où meurtres racistes visant une minorité nationale déjà passablement rejetée par le reste de la société ?
Toujours est-il qu’à quelques semaines d’élections présidentielles incertaines, les politiques de tout bord vont s’emparer de l’affaire pour en tirer bénéfice.
A partir de là le roman bascule, change d’angle et de dimension. D’un thriller annoncé nous glissons progressivement dans la fable politique.
A travers le prisme de cette affaire de meurtres, pour lesquels jamais le lecteur ne connaîtra les motivations de l’assassin, car personne dans cette histoire ne cherche vraiment à découvrir qui il est, Bogdan Teodorescu explore la société et la vie politique roumaine.
Il déconstruit avec talent, la mécanique médiatico-politique qui rythme la vie du pays.
Connivence, manigance, trahison, tout est bon pour se maintenir au pouvoir ou pour tenter de le conquérir.
Et qu’importe si les circonvolutions politiques, où les ennemis deviennent des alliés de circonstance, les amis de la veille des agneaux sacrificiels, conduisent le pays au bord de l’explosion et des affrontements inter-ethniques.
Le regard de Bogdan Teodorescu est dur, froid, voire cynique. En tout cas sans concession. Car la violence n’est pas seulement dans la rue, elle court aussi dans les couloirs feutrés des palais du pouvoir.
Dans ce contexte, où la presse se vend au plus offrant, où les idéaux n’ont de sens et d’utilité pour les élites que s’ils rapportent un quelconque bénéfice, financier ou politique, cette affaire de meurtres, arrange finalement bien du monde.
Chacun trouve matière à avancer ses pions aux dépens de la justice, du bien commun, du sens de l’intérêt général qui se dissolvent dans l’ambition démesurée des uns et des autres.
Reflet d’une société qui s’empoisonne au racisme ordinaire en reniant une partie d’elle-même, où journalistes et politiques jouent avec les antagonismes sociaux pour servir leurs propres intérêts, le roman de Bogdan Teodorescu est une farce politique particulièrement sombre, portée par une plume empreinte d’une certaine forme d’humour désabusé.
Si dans les premières lignes, le lecteur pensait s’aventurer dans un thriller classique, celui-ci ne perd finalement rien au change, bien au contraire, avec cette fable politique.
La qualité d’écriture de l’auteur et la profondeur du portrait qu’il dresse de cette société roumaine, donne à l’arrivée un roman particulièrement intéressant et original.
Et si l’histoire se passe en Roumanie, à bien y réfléchir, dans le contexte politique national ou européen du moment, celle-ci n’aurait pas de mal à trouver des échos chez nous.
Car là-bas comme ici, ce n’est pas les paniers de crabes, dont l’animal illustre la couverture du roman, qui manquent. En la matière nous n’avons pas beaucoup de leçons à donner à nos amis roumains.
Je connais votre site depuis peu mais ce qu’on peut dire d’emblée, c’est que vous savez mettre en exergue les vrais bon romans que vous lisez. Bravo. Pour l’instant, un sans-faute pour moi: j’ai lu Bull Mountain avec un plaisir immense en quelques heures. Pour Spada aussi vous avez raison. Un petit bémol: les chapitres ressemblent à des courtes vignettes qui décortiquent intelligemment et sans manichéisme les réactions de la société roumaine mais il y a un effet secondaire à ce choix: c’est que l’action semble stagner. Par contre l’écriture et la caractérisation sont superbes (la traduction est très bonne) et c’est surtout les dialogues qui sont réussis; on s’y croirait.
Merci pour votre site de passionné et continuez, c’est tout ce qu’on demande au prix où sont les grands formats de nos jours
bonjour et merci pour ce commentaire à la fois sympathique et constructif. Votre analyse est pertinente concernant SPADA ! j’espère que je parviendrai encore à vous conseiller des lectures qui vous plairont tout autant que celle ci ! A très bientôt alors!! 😉