Nous sommes en 2005. Villeneuve Saint Maur. La banlieue. Dans ce paysage de béton où se désagrègent les existences, où l’espoir a les ailes englué dans le papier tue-mouche de la fatalité, une jeune fille a disparu.
Elle s’appelle Déborah Brahmi, habite la cité du Presov, dans une de ces barres si caractéristiques de l’urbanisme galopant des années 60-70 censées clamer la puissance du modernisme français, avant de devenir au fil du temps et des crises, les tombeaux des horizons des plus pauvres.
Deborah, 15 ans fréquentait le lycée Ravel. Profil scolaire d’élève en grande difficulté, au comportement parfois transgressif, elle ressemblait à n’importe quel autre élève de son établissement qui voit déjà son avenir muré dans l’échec. Alors fugue ou affaire criminelle?
Pour débrouiller cette histoire l’enquête est confiée à l’inspecteur Arénas et ses collègues. Dorothée, une femme au passé douloureux qui s’adonne à la boxe, et Bonnal, un flic aux discours et aux méthodes borderline qui ne tardera pas à commettre une bavure.
Secondés par Karim, un informaticien de la maison, ils vont découvrir en décortiquant le contenu de l’ordinateur de la jeune fille que celle ci avait un blog sur lequel elle apparait en petite tenue. De fil en aiguille plusieurs pistes vont se faire jour, chacune gravitant autour de jeunes hommes que Déborah fréquentait, et que les policiers vont exploiter pour tenter de découvrir ce qu’il est advenu de la jeune fille.
Pendant ce temps là, le quotidien de la cité Presov. Des dealers aux coins des rues, des flics en patrouille, des petits caïds qui roulent en Mercédès et des filles, à l’image de Lila, qui rêvent de s’en sortir et de fuir la cité pour échapper à leurs conditions sociales et à leurs frères imbéciles et violents qui contrôlent leurs moindres faits et gestes et les enferment dans la camisole d’un honneur hypothétique à défendre coûte que coûte.
A cela se rajoute les rivalités quotidiennes entre les bandes du Presov et celle du quartier voisin de La Grange aux Loups qui ne manqueront pas de dégénérer et de laisser sur le carreau les plus innocents d’entre eux.
Et au milieu de cet univers gris, le lycée Ravel. Usé, épuisé à essayer de maintenir en vie avec les moyens du bord, une petite flamme de curiosité et d’espérance pour des générations de jeunes qui savent qu’ils ont déjà perdu le combat de l’avenir, et où finit de se dissoudre les illusions des plus motivés des enseignants.
Hervé Decca nous livre là un roman particulièrement sombre, noir. Un roman où l’enquête policière n’est qu’accessoire, tant l’intérêt du livre tient dans la description de ces vies qui se croisent, qui s’affrontent parfois, mais qui ont en commun d’essayer de survivre toujours, à leur cité, à leur vie misérable, à ce quotidien qui avale les rêves.
Et de nous dresser des portraits de ces habitants, de ces profs et de ces flics aussi résignés de part et d’autre de cette frontière invisible qui les sépare, qui essayent malgré tout pour certains, de s’en sortir par le haut à l’image de l’inspecteur Arenas qui tente de décrocher ce concours de commissaire qui pourrait enfin lui permettre d’offrir à sa femme et à son fils cette maison qu’il leur promet depuis toujours. Un flic qui reste englué dans son boulot de terrain qui lui barre toute perspective d’ascension professionnelle .
Contrairement à ce que j’ai pu lire dans un article consacré à ce roman, l’auteur ne fait pas une description caricaturale de cette banlieue si souvent décriée. D’ailleurs, qui mieux que lui peut en parler, lui qui a enseigné et à été sans doute directement confronté à cette jeunesse en perdition, à ces habitants abandonnés de la République.
Si la description qu’il en fait ne laisse pas la place à un soupçon d’optimisme, il ne porte cependant aucun jugement de valeur sur cette banlieue. Tout juste un de ses personnages, une jeune prof qui décide de démissionner de l’Education Nationale, se retourne vers cette cité avec de l’amertume au cœur de n’avoir su ou n’avoir pu, avant de franchir ce pont qui la ramène de l’autre côté, dans l’autre monde.
Nous sommes en 2005, l’année où les cités finirent par s’embraser.
Nous sommes en 2018, où rien n’a changé pour ses quartiers, où la vie continue mais en pire.
Ce roman, c’est d’abord celui d’un échec. Celui d’une société qui exclue les bidonvilles de son paysage et de son vocabulaire mais crée des ghettos et des zones de non droit, où même les oiseaux sont en acier, à l’image de l’oiseau tour qui domine ce quartier du Presov.
Un premier roman vraiment réussi , à découvrir.
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