« Dans les montagnes du Jura, par un long hiver enneigé, on tue des familles de façon particulièrement violente. Un tueur en série d’un genre nouveau… »
Avec une entame de quatrième de couverture pareille, il y avait peu de chance que je m’intéresse à cet ouvrage. Vous connaissez sans doute mon aversion pour ces thrillers au sempiternel tueur en série d’une intelligence supérieure et qui fait la nique aux forces de l’ordre. Pas vraiment mon truc.
Alors pourquoi en lisez-vous la chronique aujourd’hui ?
Longtemps ce roman, arrivé il y a un bail déjà dans ma boîte aux lettres, est resté là, sur ma table. Et puis un matin, en faisant du tri, presque par inadvertance, j’ai laissé traîner le regard sur les premières lignes, et l’écriture de l’auteur a tout de suite éveillé ma curiosité.
Une page, deux puis trois, et me voilà séduit par un style et un sens du mystère qui ont tôt fait de m’enchainer à la lecture de cet ouvrage.
Je parle de mystère, car c’est bien de cela qu’il s’agit dans les premiers paragraphes de ce roman.
Ce mystère c’est celui de la forêt. Et Patrick Éris nous en parle avec beaucoup de finesse et de poésie.
Permettez-moi une fois n’est pas coutume, d’en citer un large passage :
Au commencement était la forêt.
Elle a toujours été là ; longtemps avant que le premier embryon d’être humain ne rampe hors du limon primordial, elle se dressait majestueuse, déjà grouillante de vie. De vie et de mort…/…
Peut-être est-ce pour cela que l’homme en a toujours eu peur ? Des forêts sombres et oppressantes de Finlande à celles de Bavière, immense et périlleuses, génératrices de légendes transmises de bouche à oreille que retranscrivent les frères Grimm et tant d’autres, ce roseau pensant qu’est l’homo sapiens les a toujours peuplées de menaces protéiformes, de créatures meurtrières, des chimères nées de ses terreurs superstitieuses qu’il a mises en scène dans mille contes fantaisistes…/…
Peut-être est-ce pour cela que l’homme n’a eu de cesse de vouloir la domestiquer, en vain. La forêt n’en a cure. Elle a tout le temps du monde devant elle ; un immense océan face à la goutte d’eau éphémère qu’est l’histoire de l’humanité…/…
Ses murmures ne parlent qu’à ceux qui veulent l’entendre, et, quel que soient ses rêves durant son long sommeil hivernal ou le renouveau des bourgeons, elle ne les partage avec personne…/… La forêt absorbe les cris comme les murmures, la joie comme la peine, et quoiqu’elle puisse voir, ce n’est jamais que pour ses yeux seuls.
Plus que tout autre la forêt sait garder ses secrets.
Dès lors, impossible pour le lecteur de résister à la curiosité et à l’envie d’en découvrir davantage !
Si pour le commun des mortels, la forêt est une énigme angoissante et inaccessible, d’autres, forts rares, ont développé une relation quasi fusionnelle avec elle.
C’est le cas de cet adjudant de gendarmerie, narrateur de sa propre histoire, dont on ne connaitra jamais le nom.
Alors qu’il n’avait que sept ans, celui-ci s’était perdu dans les bois. Cela aurait pu virer au drame puisqu’il y resta près d’une semaine avant que les secours ne le retrouvent et le ramène dans son foyer.
De ce qu’il s’est passé durant ces longs jours d’errance il ne dira rien. Mais l’enfant avait changé.
Depuis ce temps-là, il parle à la forêt, et la forêt lui parle…
Adulte, le voilà donc aujourd’hui gendarme. En embrassant cette carrière, il a fait le choix de demeurer dans sa région, dans son Jura natal, bien loin des turpitudes de la ville et du monde moderne.
Une vie de routine, dans un cadre magnifique, près de cet océan d’arbres, à la tête de la brigade de Clairvaux-les-Lacs, réduite à sa plus simple expression. Il n’en demandait pas plus.
Pourtant, cette vie paisible va être brusquement remise en cause par l’éruption de la violence dans ce cadre idyllique. Et c’est bien toute la beauté de ces lieux mystérieux qui met en exergue toute la brutalité, l’impression horrifique de ces premiers morts qui s’annoncent.
Une famille est d’abord décimée, les Sarella qui voit trois de ses membres sauvagement assassinés. Puis ce sera au tour des Fioretti et des Lamosse de payer le tribut du sang à un tueur aussi déterminé qu’impitoyable.
Bien que les crimes soient particulièrement odieux, qu’ils sont visiblement l’œuvre d’un tueur en série ,chose jamais vue dans cette partie du pays, c’est dans l’indifférence quasi générale que notre officier de gendarmerie devra tirer les ficelles de cette histoire tortueuse.
Car les temps changent. Ce qui autrefois aurait défrayé la chronique ne fait l’objet que d’entrefilets dans la presse .La société d’aujourd’hui, abreuvée d’image de violence sur les médias modernes, est blasée et ne s’excite plus qu’à la télé-réalité.
Même les autorités compétentes ne jugeront pas nécessaire d’envoyer des enquêteurs spécialisés ni de renforcer les effectifs pour mener à bien les investigations.
Ce sont donc des gendarmes peu aguerris à ce genre d’exercice qui vont affronter ce mal sans visage. Sans moyens (leur véhicule est une breloque et une leur ordinateur une antiquité) ,avec pour seules armes leur sens de l’observation , leur clairvoyance et leur opiniâtreté, ils vont tâtonner, explorer toutes les pistes pour parvenir enfin à trouver, non sans l’aide d’un journaliste local, un point commun à toutes ces victimes.
Le contraste est saisissant entre la violence inouïe des meurtres commis et le dénuement de cette brigade qui va devoir faire face.
Vous ne devez pas vous attendre à un gendarme chevronné, rodé à ces situations d’urgence.
Et c’est bien là d’ailleurs ce qui fait l’attrait de ce dernier. Un anti héros par excellence, qui a ce rapport original à la nature, et plus précisément à la forêt, dans laquelle il va parfois se ressourcer.
Patrick Éris entoure ce personnage de bien des mystères. Et le lecteur s’en délecte, sans jamais savoir vraiment si cette relation particulière est fondée ou si elle se passe uniquement dans la tête de celui-ci. A lui d’imaginer ce qu’il est en est véritablement même si l’auteur laisse quelques indices au fil de son texte.
Voilà un roman dont l’originalité tient donc dans la simplicité de son personnage central ,atypique par sa banalité, son absence d’aspérité .Un quidam pris dans des circonstances exceptionnelles,
C’est une enquête complètement épurée, basique, défaite du moindre artifice de spectaculaire ou de rebondissement grandiloquent. Un plaisir brut pour le lecteur. Un roman très bien écrit qui donne un aperçu du potentiel de cet auteur touche-à-tout dont on attend avec impatience le prochain ouvrage.
Bonjour Bruno
Patrick Eris est un excellent romancier (et un traducteur également sous son nom de Thomas Bauduret) et il est dommage de ne pas pouvoir le lire plus souvent. A chaque c’est pour moi un coup de coeur. Et dommage aussi que les éditions Watberg aient abandonné cette collection dans laquelle figuraient quelques bons titres.
C’était la nostalgie du dimanche
Amitiés
Pour mémoire :
http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/2016/10/patrick-eris-les-arbres-en-hiver.html
Bonsoir Paul ! J’avais lu ta chronique au moment où tu l’avais mise en ligne. Va savoir si inconsciemment tu n’as pas guidé mon regard vers ce bouquin resté longtemps dans ma PAL ! 🙂 Par contre, j’ignorai totalement que la maison d’édition avait abandonné la collection. C’est bien dommage ! Amitiés 😉
Encore une tentation de plus que tu soumets à notre gourmandise “polardienne”, mon cher Bruno, d’autant plus que l’attrait de la forêt convient parfaitement à mon tempérament d’ardennais !
C’est vrai que les bouquins basés sur les tueurs en série sont parfois lassant.
Mais si ce n’est fait, je t’invite à découvrir “MALLOCK et ses 4 bouqins sur “Les chroniques barbares”
Ok !! j’inscrit au dessus de ma pile PAA ces “Arbres en hiver” et je transmet ta chronique à mon banquier pour l’ouverture de crédit
Amitiés
Bonsoir mon ami ! voilà un roman qui mélange à la fois simplicité et mystère. J’ai été agréablement surpris par celui ci , je pense qu’il devrait te plaire également. Si tu as du mal à le trouver reviens vers moi 😉
Hello Bruno ,
J’ai été séduite par le style ; une écriture ciselée au marteau de l’authenticité , épurée ; des mots comme des notes cristallines égrenées dans le silence magique de la forêt et qui ponctuent le drame Magnifique !
Merci pour la découverte
😉
Bonsooir Françoise content qu’il t’ait plu !!! 😉
Bonsoir, merci, cela m’étonne toujours d’autant que je ne me considère pas comme un grand styliste ! Ce roman, qui a souffert d’être à la fin de la collection lion, va être réédité, c’est signé…
Bonsoir Patrick ! Ravi d’apprendre que ce roman va être réédité . N’hésitez pas le moment venu à revenir vers moi, je me ferai un plaisir de mentionner sa nouvelle sortie dans les nouveautés à paraître quand il sortira.