Article écrit par Emmanuel Quentin*

Il y a deux ans je prenais le train direction Les Quais du Polar à Lyon avec l’idée de rencontrer Michèle Barrière pour l’inviter à venir dans la médiathèque où je travaille. J’assiste à sa conférence, je bois ses paroles, fasciné par une histoire de l’alimentation dont j’étais loin de soupçonner toutes les richesses, toutes les subtilités. En 2013, elle vient enfin et bien sûr, je lis son dernier ouvrage, Meurtre au Ritz, continuité de sa série consacrée à la dynastie Savoisy.

Après le Moyen-Age, la Renaissance, l’époque des Lumières, nous voici donc en 1898 en plein cœur de l’affaire Dreyfus. Le « J’accuse » d’Emile Zola a retenti. Nous sommes à quelques jours de l’inauguration du Ritz et Quentin Savoisy, reporter de la revue Le Pot au feu et ami d’Auguste Escoffier découvre le corps d’un jeune femme suspendue à un crochet de boucher dans la chambre froide du Palais. Plutôt que d’avertir la police et de sonner le glas de l’inauguration tant attendue, César Ritz préfère se débarrasser du corps. Quelques jours plus tard, une lettre de menace lui parvient. Quentin, se retrouve mandaté pour savoir de quoi il retourne exactement, alors même que sa compagne Diane lui donne bien du souci en se ralliant à un journal composé uniquement de femmes…Il n’est pas au bout de ses peines.

Michèle Barrière a bien fait de tremper sa plume au XIXe siècle. Elle avait dit qu’on ne l’y prendrait pas mais sa soif de transmettre ses connaissances de l’alimentation et de revisiter l’histoire – pas seulement à sa sauce – a été la plus forte. Je vais essayer de ne pas faire dans la métaphore culinaire filée mais très franchement, quel régal que ce livre. Tant au niveau des personnages hauts en couleur comme elle sait si bien les dessiner que sur la qualité de la restitution du fond historique. Certains diront que l’enquête criminelle n’est qu’un prétexte à revisiter un épisode douloureux de l’Histoire de la France, proche de la guerre civile, où les mouvements anarchistes se sont fait entendre…

Peu importe. On en prend plein les mirettes ici, on en prend plein les papilles aussi. Mais on apprend surtout énormément, et pas seulement sur l’aspect culinaire même si, c’est vrai, on reste pantois de voir que les nationalistes de l’époque revendiquaient avec une ferveur dangereuse la préservation des plats nationaux et souhaitaient la disparition des plats étrangers dans les restaurants… Les discours véritables de certaines figures ayant réellement existées ont comme un goût amer, certainement plus encore au regard des discours nationalistes frelatés qu’on entend ici ou là de nos jours. On parle parfois de la cyclicité de l’Histoire, on aimerait parfois qu’elle se manifeste le moins possible.

Michèle Barrière parvient également à faire revivre Montmartre d’une façon magistrale, dévoile là encore des pans méconnus de ce quartier, elle ouvre une fenêtre sur les Boucheries de la Villette avec ce qu’elles recelaient de répugnant et d’abject. Elle explore aussi avec brio la mouvance féministe de l’époque, une mouvance farouche, déterminée, téméraire, belle en diable… à l’image de celles qui l’ont façonnée.

On le voit bien, quel que soit le prisme par lequel on aborde Meurtre au Ritz, il y a du grain à moudre. Sa saveur est plurielle. On aurait tort de ne pas s’en délecter…