A l’occasion de la sortie de son nouveau roman ” Les âmes sous les néons”, que je vous présenterai dans quelques temps, j’avais envie de revenir sur l’un de ses précédents romans, qui avait confirmé en son temps tout le bien qu’on pensait de ce jeune auteur en devenir !
Tony est un môme de banlieue. Du moins l’est-il devenu à la mort de son père quand il est venu se mettre avec sa mère, sous l’aile protectrice de son oncle, au nord d’Aubervilliers au milieu des blocs de béton.
C’est là qu’il a grandi à partir de ses onze ans. Là qu’il fait la dure expérience d’une vie de gamin livré à lui-même et à la loi du quartier.
« le premier jour d’école là bas, je suis rentré le nez en sang » …/… « … je me faisais systématiquement masser les joues par la bande de sales gosses du quartier. De vrais salopards qui jouaient déjà les caïds, issus d’authentiques familles de cas sociaux : pères en prisons, frères obsédés par la fixette au point de braquer le tabac du coin avec une hache, mères et sœurs dont les semaines étaient rythmées par les visites aux parloirs. La zone pour de vrai, sans sas de décompression. ». Seul dans sa chambre, il chiale. Jusqu’à ce qu’un soir son oncle s’en rende compte, se penche vers lui et lui dise « ça va aller bonhomme ».
A partir de là la vie de Tony va basculer. Car dès le lendemain, c’est dans une salle de sport que le conduit son oncle. Là, Tony va découvrir un univers qu’il ne connait pas encore, celui de la sueur et des coups, de l’effort et de la souffrance, un monde où s’affute aussi l’amitié et la solidarité, celui étrange et fascinant de la boxe.
Et dès qu’il enfile pour la première fois une paire de gants la magie opère ! « Les yeux ouverts dans le noir, je n’ai qu’une seule envie : dormir, pour demain recommencer ».
Dès lors c’est avec les conseils de Patrick son entraineur qu’il va développer son art, apprendre à voler comme un papillon et à piquer comme une guêpe*, sous l’œil bienveillant d’un oncle qu’il déteste pourtant. Là qu’il va se nouer d’amitié avec Moussa, un gamin du quartier qui finira lui, par choisir le ring de la rue à celui de la salle de sport.
Car la boxe est pour Tony une révélation, une renaissance qui va donner à ce gosse un sens à sa vie et une envie farouche de devenir un champion, de sortir de l’ombre pour goûter à la lumière. Et il va se découvrir un appétit féroce, une envie de vaincre insatiable.
Alors il enfile ses gants tous les soirs et cogne fort contre le sac de frappe, contre cette vie qui l’enserre dans son ghetto de béton, ce milieu qui lui colle comme une seconde peau et dont il aimerait bien se défaire. Il ne veut pas un jour « avoir l’impression d’être un pillier du quartier, un mec qui a flingué sa vie entre les murs des tours » . Mais les mains ne peuvent frapper ce que les yeux ne peuvent pas voir*.
Devenu adulte, travaillant comme mécano chez son oncle, voici Tony qui livre avec succès son premier combat pro. Il a grandi droit sans tomber dans les pièges de la rue et du quartier Dans son immeuble, on le respect pour ce qu’il est en train de devenir, un homme libre.
Ce chemin vers la lumière aurait pu continuer ainsi si la condition, l’environnement de Tony ne venait pas lui exploser au visage.
Un soir sa mère, paumée et entretenue par des voyous, se retrouve à l’hôpital, après avoir été tabassée par un dealer.
Fou de rage, Tony décide de faire appel à Miguel le caïd de la ville se venger de l’agresseur de sa mère.
Mais à passer un pacte avec le diable on y laisse souvent son âme. Dès lors va débuter pour Tony une descente aux enfers irréversible qui va engloutir ses rêves et ses espoirs, souffler cette petite lumière qui bien que vacillante parfois lui traçait la route vers un autre horizon, vers une autre vie.
Tony est un papillon attiré par la lumière, une luciole virevoltante sur le ring où naissent les rêves et où la vie peut s’inventer. Mais il a oublié trop tôt peut être, que « la boxe a toujours été l’opéra des pauvres et des voyous »** et que l’on ne se défait pas aussi facilement d’une histoire familiale et personnelle qui prend racine dans le béton des cités.
Inutile de dire que Jérémie Guez confirme tout le talent qu’on lui avait découvert avec « Paris la nuit ». On retrouve cette maitrise des mots, ce sens de l’écriture qui offre un écrin à une histoire flamboyante d’un homme qui fuit une condition pour se construire un autre avenir, avant de regarder en face un destin qui le rattrape.
Les deux romans de Jérémie peuvent apparaitre comme assez semblables à première vue. L’histoire d’une chute vertigineuse, sans échappatoire, consciente et admise par les héros malheureux de ces deux romans.
Mais si « Paris la nuit » gravite autour de l’histoire d’un homme qui se consume de l’intérieur, qui assume sa déchéance et la revendique, dans « Balancé dans les cordes » il n’y a pas cette noirceur dévorante chez Tony, cette autodestruction comme acte ultime d’un condamné se rêvant vivant. Pour Tony le choix final est un sacrifice choisi qui donnera un sens à son destin.
Cette confirmation du talent de Jérémie Guez m’assoit dans ma certitude à penser que cet écrivain touche à tout, puisqu’il fait aussi du cinéma, a les atouts pour devenir un auteur de référence dans le roman noir français.
Il ne reste plus qu’à vous en laisser convaincre en lisant ses romans !
* citation de Mohamed Ali
** extrait de ” la deuxième disparituion de Majorana” de Jordi Bonnels
crédits photos:
enfant sur les cordes. ” child” deMartine Barrat
“détail d’un ring” de Phgaillard 2001
Merci beaucoup pour ce super billet.
Jeremie Guez est vraiment quelqu’un à suivre.
Quelques remarques : il existe une version adaptée en podcast de “Balancé dans les cordes” par France Culture qui est vraiment chouette. Malheureusement, elle n’est plus disponible en ce moment mais elle repasse régulièrement.
Sur le thème de la boxe, j’ai trouvé que “Riposte” de David Albertyn sorti l’an dernier chez Harper Collins Noir était pas mal : 4 amis d’adolescence qui se sont perdus de vue, qui ont connu des accidents de vie, vont se recroiser autour du match de boxe de l’un d’entre eux. Le tout raconté sur 24 heures.
Je conseille aussi à ceux qui aiment Jéremie Guez de lire “Le dernier tigre rouge” qu’on trouve en 10/18. Ilnest très différent de ses autres livres mais j’ai beaucoup aimé sur le thème de la Guerre d’Indochine et la Légion Étrangère.
Enfin, il y a le film “Bluebird” réalisé par Jérémie Guez. Il y a une belle rencontre entre un aucien taulard et une jeune fille en quête de (re)père. Attention quand même, il y a des scènes très violentes.
Bonjour Nico ! que rajouter de plus à ce que tu écris, tu as tout à fait raison et merci pour ces compléments d’informations. Je mettrai bientôt la chronique de “Paris la nuit” que j’avais faite à l’époque (je n’ai pas transferé toutes mes chroniques), avec lequel j’avais donc découvert Jérémie Guez. Ce bouquin m’avait époustouflé ! je regrette juste qu’il n’écrive pas plus souvent , c’est bien là le seul reproche que je peux lui faire, mais c’est par pur plaisir égoïste que je dis ca 😉