Ils s’appellent Matis et Lukas. Ils ne sont pas irakiens, afghans ou kurdes. Ils n’ont pas risqué leur vie sur des bateaux de fortune pour traverser la manche. Eux sont baltes. Lituaniens plus précisément.

Mais leur sort n’est pas plus enviable que celui de réfugiés venus du Moyen-Orient ou d’Asie.

C’est Matis qui a convaincu Lukas de partir pour l’Angleterre. Pour quitter leur ville natale où ils s’ennuyaient. Enfin, surtout Matis. Lukas lui s’accommodait bien de cette vie sans relief, insensible aux promesses de l’eldorado anglais que ne cessait de lui vanter son camarade.

Mais d’eldorado il n’en sera pas question. Les deux amis vont, dès leur arrivée sur le sol britannique, être pris au piège d’un réseau exploitant des travailleurs d’Europe de l’Est et des pays baltes comme de véritables négriers.

Passeports confisqués, travail à une cadence infernale sans aucun jour de repos, et aucun moyen de s’échapper de la coupe d’Edikas Petron le chef de ce trafic de main d’oeuvre qui ne se dépare jamais de son chien d’attaque.

C’est ainsi que Matis et Lukas se réveillent aux aurores pour aller attraper des poulets. Si cela peut faire sourire de prime abord, le boulot n’en est pas moins exténuant et l’on s’y blesse facilement.

Et tant pis pour vous si vous tombez malade. Vaille que vaille vous devez vous lever et aller bosser, quitte à ce que ce soit à coups de pied dans les côtes.

Elle mène une vie un peu compliquée. Flic de son état elle doit composer avec une supérieure qui la prend de haut et ne se soucie que de l’image de la police sur les réseaux sociaux, un mari qui rentre en oncologie pour des examens, et deux gamins à s’occuper.

C’est d’ailleurs en promenant son plus jeune fils au parc, que Manon Bradshaw va faire une macabre découverte.

Accroché à la branche d’un arbre, un jeune homme est suspendu dans le vide.

On aurait tôt fait de penser à un suicide. Sauf que sur la veste du malheureux on retrouve épinglé un message, « les morts ne parlent pas ».

Ce jeune pendu, c’est Lukas.

L’enquête de Manon Bradshaw va donc l’amener à s’intéresser à ces invisibles, ces immigrés besogneux qui pour un salaire de misère, participent à la richesse du pays en occupant des emplois que les Anglais eux-mêmes ne veulent pas assumer.

Et cela dans un contexte post-Brexit, où la haine de l’autre est exacerbée par des groupuscules qui n’hésitent plus à battre le pavé quand ce n’est pas les étrangers eux-mêmes.

Je n’avais jusqu’ici jamais lu un roman de Susie Steiner. «Garde le silence» est la troisième enquête de Manon Bradshaw, et j’avoue être agréablement surpris par l’épaisseur de ce roman.

À travers les investigations de cette inspectrice de police, l’auteure aborde un aspect de l’immigration trop souvent passé sous silence.

Si les feux de l’actualité se focalisent sur les drames se jouant dans la Manche ou en Méditerranée, rarement est évoquée l’exploitation qui est faite des migrants qui auront réussi à mettre pied à terre au Royaume-Uni. Car pour nombre d’entre eux, c’est bien dans un enfer qu’ils pénètrent.

Et cet enfer, Susie Steiner nous le fait découvrir à travers Matis et Lukas.

La soumission au donneur d’ordres, les coups, le parcage comme du bétail dans un bâtiment insalubre, les matelas à même le sol, puant la transpiration et l’urine, la promiscuité, le manque de repos, les salaires de misère, etc.

Leurs papiers et téléphones confisqués, leurs identités se dissolvent dans cette masse humaine informe. Et quand parfois les corps lâchent, définitivement, il ne faut pas compter sur une cérémonie religieuse pour un dernier adieu.

Dans cette vie de noirceur, où la solidarité est un luxe, seul Lukas apparaîtra un temps, comme un faible rayon de lumière.

Cet univers glauque parfaitement décrit par Susie Steiner prend d’autant plus aux tripes que cette vision sordide est mise en parallèle avec une autre que nous connaissons bien, celle de notre quotidien.

En donnant au lecteur l’opportunité de pénétrer dans l’intimité de son héroïne, ses réflexions sur son couple, ses interrogations sur l’éducation de ses enfants, ses inquiétudes quant à la santé de son compagnon, Susie Steiner provoque une mise en perspective entre ces deux réalités qui se côtoient, augmentant encore davantage le malaise.

« Garde ton silence » est une bonne surprise. Sans tomber dans le pathos, Susie Steiner nous offre un roman qui rentre en résonance avec l’actualité en cours, où une nouvelle fois, la crise migratoire fait la une des médias.

Des personnages avec une vraie épaisseur, un scénario original et parfaitement maîtrisé de bout en bout, à la fois roman policier et roman noir, tous les ingrédients sont réunis pour que vous passiez un bon moment de lecture.

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