On aurait pu penser que le livre de Thomas Mullen, paru en janvier 2023, était directement inspiré de notre expérience collective des années covid, du temps du confinement et des interdictions de déplacement.
Il n’en est rien, puisque ce roman a été publié aux États-Unis en 2006, et qu’il s’agit de la toute première œuvre de l’auteur. Comme quoi parfois l’imagination télescope la réalité de manière bien surprenante !
Nous sommes en 1918 dans le Nord-ouest américain, dans l’état de Washington. Commonwealth est une petite ville axée sur l’exploitation du bois qui fait vivre toute la population locale.
C’est là que Charles Worthy, un industriel à la fibre sociale, a décidé de bâtir son rêve d’une communauté harmonieuse, fondée sur l’entraide, et le partage un peu plus équitable des richesses. Bien loin en tout cas, de ce capitalisme américain émergeant, qui règle les revendications prolétariennes avec une extrême violence, allant parfois jusqu’à provoquer des catastrophes meurtrières.
Les choses auraient pu continuer immuablement dans cette union collective, si les turpitudes du monde n’y avaient pas fait une entrée fracassante.
Les États-Unis sont rentrés en guerre et la conscription mobilise les hommes valides. Pour ne pas s’être fait recenser, ceux de la ville auront maille à partir avec la ligue de protection américaine, une milice d’extrême droite qui exècre l’organisation sociétale de Commonwealth, et qui se servira de ce prétexte pour venir semer le trouble parmi la population.
A cela s’ajoute l’épidémie de grippe espagnole, un fléau qui se répand comme une trainée de poudre à travers tout le pays.
Quand des rumeurs justement arrivent jusqu’à Commonwealth qui laissent entendre que celle-ci fait des ravages dans la cité voisine située à 25 km de là ,Charles Worthy ne voit qu’une solution pour préserver sa communauté, celle d’établir un confinement rigoureux.
Des tours de garde sont instaurés, et un panneau à l’extérieur annonce la couleur. Personne n’est le bienvenu à Commonwealth et les gens sont invités à faire demi-tour.
Philip, 16 ans, estropié suite à un accident , et fils adoptif de Charles et Rébecca, veut absolument se rendre utile et se porte volontaire pour faire le guet à la sortie de la ville en compagnie de Graham.Une mission pas bien compliquée, sauf qu’un étranger se présente au loin. Un soldat. Il est blessé. Malgré les invectives à ne pas s’avancer davantage, l’indivudu continue de progresser vers eux. Graham tire et l’homme s’effondre.
À partir de là, le destin de cette petite ville isolée du monde va définitivement basculer.
Mettons à la marge le côté visionnaire bien involontaire de l’auteur à l’aune de ce que nous avons vécu avec le covid pour nous intéresser à ce roman complexe, mais dans lequel le lecteur se laisse facilement prendre.
Avec « La dernière ville sur terre », Thomas MULLEN nous offre une histoire incroyable.
Celle de cette utopie qui questionne sur ce qui unit les hommes dans un idéal de vie.
Celle d’un pays en pleine mutation, qui voit naître et grandir ce capitalisme qui se fera les griffes férocement sur le monde ouvrier, dès lors que celui-ci osera revendiquer de meilleurs salaires, et des conditions décentes de travail. Une époque où la répression de l’expression populaire se faisait souvent dans le sang.
Celle enfin, d’une société parcourue par des courants opposés, entre vision socialisante pour certains et posture réactionnaire et fascisante pour d’autres, source de frictions et de conflit.
Commonwealth apparaît en quelque sorte , comme le reflet des États-Unis à l’échelle d’une ville dans son rapport au monde.
Isolationniste pour se protéger de l’extérieur, elle ne pourra, comme le pays, se soustraire aux soubresauts de l’époque, et devra les affronter bien malgré elle.
Et face à cette pression, à ce contexte de crise qui se fait de plus en plus fort, les convictions profondes s’effritent et se désagrègent peu à peu, laissant la place aux instincts primaires de l’individu. Les esprits s’exacerbent, les divisions apparaissent et l’égoïsme surgit et finit par mettre en faillite l’Ideal partagé.
C’est à travers une galerie très riche de personnages particulièrement bien travaillés que Thomas Mullen nous décrit ce délitement.
L’auteur nous offre une vision remarquable de cette maladie qui parvient à se répandre dans les rues de Commonwealth, tuant les uns et épargnant les autres, et de cette peur qui l’accompagne et fissure les fondements de cette communauté.
Même si on pourra trouver quelques longueurs à ce roman de près de 600 pages, le résultat n’en reste pas moins impressionnant, tant par la maîtrise que par l’écriture d’un auteur que nous avions découvert à travers sa trilogie (Darktown, Temps noir et Minuit à Atlanta ) .
Si le lecteur ne perd pas de vue que « La dernière ville sur terre » est bien la première œuvre de Thomas Mullen, il ne pourra que convenir de l’immense talent de cet auteur, qui nous offre un texte aussi instructif que passionnant.
ACQUISITION: LIBRAIRIE
Salut mon ami du sud. Je l’ai ! bon, pas encore lu, mais bien placé ! J’en profite pour te souhaiter de bonnes fêtes de fin d’année. BIZ
Salut Pierre ! je pense que c’est le genre de roman qui devrait te plaire ! 😉