1882.
La haine entre les familles Tafani et Rocchini remonte à plusieurs générations déjà, au point que d’aucuns ne seraient en mesure d’en expliquer l’origine. Mais elle là, tenace, continuant « à courir sous la peau » des membres de ces deux familles.
Quand ils retrouvent leur chien éventré, les Tafani n’ont aucun doute sur le nom des coupables. L’affront émane inévitablement du clan Rocchini, et selon l’adage, « qui tue le chien tue le maître ». Aussi, l’assassinat peu après de François Rocchini, près d’un ruisseau asséché, sera leur réponse à cette offense.
« Mourir pour la queue d’un chien » . Il n’en fallait pas plus pour provoquer un destin.
Même si sa veuve ne voulait pas que les siens donnent à leur tour dans la violence, c’est pourtant un de ses fils, Xavier, qui finira par venger le père quelques mois plus tard, en tuant le plus jeune des Tafani.
Malgré son âge, vint ans à peine, le voilà obligé de prendre le maquis pour fuir la justice et ses ennemis, rejoignant ainsi ces fugitifs devenus clandestins sur leur propre terre.
Pour y survivre, celui-ci va devoir se livrer à des larcins qui vont peu à peu le conduire à fréquenter des bandits, et pour finir à commettre d’autres crimes.
Il assassinera en particulier deux petits vieux, et finira même par tuer sa propre cousine au prétexte qu’elle se refusait à lui, méritant ainsi le sinistre surnom d’« Animali », la Bête . Au fil des ans il se forge une redoutable réputation provoquant la crainte parmi ceux qui croisent sa route.
Pendant ce temps, un enquêteur venu de métropole s’acharne à pourchasser et appréhender ces bandits de grand chemin qui gangrènent la Corse. D’une redoutable efficacité, l’homme conduit bon nombre de ces criminels devant les juges et l’échafaud. Autant dire qu’il ne tardera pas à avoir Xavier Rocchini en ligne de mire.
Le roman d’Antoine Albertini ne se lit pas, il se dévore !
C’est une œuvre captivante qui nous plonge dans l’épopée violente d’un homme devenu meurtrier, rejeté même par sa propre famille.
Du début à la fin, l’intrigue nous tient en haleine, révélant un visage de la Corse bien différent de l’image fantasmée véhiculée depuis des lustres.
A travers son récit, Antoine Alberti déconstruit et démystifie cette image de la Corse, léguée par des auteurs du 19e et du début du 20e qui ont glorifié ces bandits d’honneur jusqu’à faire accepter aux Corses eux-mêmes, cette vision romanesque de leur histoire.
Car si l’honneur est au centre de la mécanique de la Vendetta que décrit fort bien l’écrivain, il n’en est fort peu question par la suite. C’est même le déshonneur qui caractérise ces hommes en fuite.
De même cette fraternité qui les unirait dans un lien invisible quand ils s’associent au grès de leurs intérêts pour commettre leurs exactions , n’est là aussi que pure imagination des auteurs de l’époque.
« Tant qu’il est question d’engraisser sur le dos des honnêtes gens, d’imposer la terreur à plus faible que soi, aussi longtemps qu’une querelle ne vient menacer le partage d’un butin, le sentiment d’amitié dure, solide comme la fraternité des armes forgées dans la bataille ; on se jure l’éternelle fidélité des bannis, on trinque en faisant le serment d’un secours mutuel si le destin l’exige. …/…mais que la roue de la Fortune se mette à tourner, et les résolutions s’évaporent …/…chaque parole que l’on croyait dure comme du granit (devient) aussi friable que de la craie. »
On est donc bien loin des textes parfois lyriques de Mérimée et quelques autres, qui faisaient de ces crimes de sang la quintessence de l’honneur, et de ces bandits, de glorieux héros.
Le récit met aussi en lumière la connivence entre les criminels et les notables, ainsi que les rivalités politiques entre les clans, comme les Rocchini républicains et les Tafani bonapartistes.
Enfin, Antoine Albertini ne manque pas non plus de pointer également les archaïsmes qui enserrent cette société insulaire.
« Un très honnête bandit » est un festin littéraire, un voyage à travers des personnages pittoresques, tels ce bourreau débarqué de France, révulsé par la vue du sang.
Servi par une écriture remarquable, ce roman de 2023 est une découverte exceptionnelle, et Antoine Albertini s’impose assurément comme un auteur à découvrir et à suivre .
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