« Aiden McCall avait douze ans la seule fois où il entendit les mots « je t’aime ». Mais même alors, il les entendit moins qu’il ne les lut sur les lèvres de son père ».
« Il mimait les dialogues à la télévision lorsque son père ouvrit la porte-moustiquaire. L’homme, torse nu, se planta sur le seuil, serrant un revolver à canon court contre son flanc. La mère d’Aiden se tourna vers lui, roula une paire de chaussettes sans un mot, et il leva son arme, appuya sur la détente et lui fit exploser le haut du crâne. Il y eu un éclair de lumière et de sang…
…/… un bourdonnement résonnait dans son crâne. Il vit son père prononcer « je t’aime », puis se coller le revolver au fond de la gorge, le métal claquant contre ses dents lorsqu’il fit feu pour la seconde fois. »
Thad et Aiden ne sont pas du même sang, mais sont comme des frères. Ils ont grandi et fait les quatre cents coups ensemble, veillant l’un sur l’autre.
April, la mère de Thad, avait recueilli en son temps Aiden, qui s’était enfui du foyer où il avait été placé, après que son père eut abattu sa mère et s’être suicidé.
Aujourd’hui son fils revient des champs de bataille du Moyen-Orient , la tête remplie des atrocités qu’il y a côtoyées, pour s’installer dans une caravane déglinguée ,non loin d’elle.
Il retrouve Aiden qui, pendant que son ami était à l’armée, a continué de son côté à végéter dans son trou et dans la drogue, vivant de petits boulots sur des chantiers navals.
Ils reprennent alors leurs vieilles habitudes de combines, de petits larcins , et de consommateurs de méth, jusqu’au jour où ils assistent à la mort accidentelle de leur dealer, qui se fait exploser la cervelle, pensant que son arme était vide.
Les deux compères se retrouvent avec un sachet de drogue valant une petite fortune, et un bon paquet de fric.
Mais ce qui devait leur permettre de s’ouvrir un nouvel horizon, va finalement les projeter droit dans le mur.
Révélé avec « Là où les lumières se perdent », David Joy confirme avec ce second roman, tout le talent qu’il avait alors laissé entrevoir , et se hisse progressivement à la hauteur des plus grands auteurs américains du moment, à l’image de Ron Rash ou Benjamin Whitmer, qui décrivent si bien cette Amérique des déclassés, en marge du rêve américain.
Certains penseront aussi sans doute à des écrivains comme Woodrell ou Don Pollock.
« Le poids du monde » , vous l’avez compris, n’a rien d’une comptine pour enfant ou d’une ballade bucolique dans la campagne américaine.
C’est une plongée vertigineuse dans cette Amérique des perdants et des laissées pour contre, écrasés par un fatalisme et un déterminisme social qui les étouffent.
Mais ce que montre aussi David Joy, c’est que, sur cette terre qui n’a rien à leur offrir, les choix que sont amenés à faire les protagonistes de cette histoire pèsent également fortement dans leur destin personnel.
“Le Poids du Monde” n’est pas qu’un simple portrait de l’Amérique déclassée ; il est aussi un récit sur l’amitié, la culpabilité et la recherche d’une rédemption qui semble inatteignable.
Thad et Aiden, à travers leur vie marquée par la guerre, la drogue et la violence, illustrent des personnages complexes et profondément humains, dont les choix, bien qu’évoluant dans un contexte difficile, résonnent avec une dimension universelle.
Leur amitié, aussi forte qu’elle soit, devient peu à peu un fardeau, une chaîne qui les lie aux mêmes erreurs du passé, comme un miroir de la société qui les entoure, figée dans la misère.
David Joy excelle à peindre un monde où l’espoir semble une denrée rare. À travers une écriture crue et sans concession, il nous plonge dans l’intimité de ses personnages, entre violence et tendresse, nous laissant percevoir la profondeur de leur souffrance.
Les paysages du sud des États-Unis, désertiques et écrasants, deviennent un personnage à part entière, à la fois refuge et prison, accentuant ce sentiment de fatalité omniprésent.
Le roman soulève une question essentielle : dans cette Amérique marginale, où les portes de l’avenir semblent constamment se refermer, l’individu a-t-il encore la possibilité de s’extraire de la spirale infernale dans laquelle il est pris ?
Thad et Aiden, dans leur quête de sens et d’évasion, incarnent cette lutte désespérée contre un destin implacable.
Mais peut-on vraiment se libérer de tout ce qui nous pèse, des cicatrices invisibles et des pièges d’un système qui ne laisse aucune place à ceux qui sont déjà tombés ?
David Joy confirme son statut de voix incontournable de la littérature américaine contemporaine, avec un récit puissant et bouleversant qui ne laissera pas indifférent.
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