L’OMBRE PORTÉE

19 avril 2025

Roman de

Hugues PAGAN

Édité chez

Rivages

Date de sortie
15 janvier 2025
Genre
Policier
Pays de l'auteur
France
Avis

ACQUISITION : LIBRAIRIE

Hugues Pagan n’est plus un écrivain à présenter aux amateurs de roman noir français. Son œuvre, marquée par un style singulier et une profonde humanité, fait de lui l’un des grands noms incontournable du polar contemporain.

 Ancien flic, c’est dans son expérience personnelle qu’il puise pour construire des intrigues denses, où la mélancolie le dispute souvent à la violence.

Avec «  L’ombre portée », il nous offre une nouvelle incursion dans l’univers brumeux de Claude Schneider, inspecteur désabusé et solitaire. Une figure aussi charismatique qu’insaisissable, dont le mutisme apparent dissimule une lucidité tranchante, forgée par les désillusions de la guerre d’Algérie, les compromissions de l’institution et les ombres d’un passé jamais tout à fait éteint.

Bien qu’il prolonge l’univers esquissé dans Le Carré des indigents, ce roman peut parfaitement se lire indépendamment.

          @christopher-burns

L’histoire se déroule dans une ville de l’Est de la France, dans les années 70, où les travaux de modernisation en cours donnent l’impression d’un lieu en transition, perdant peu à peu son identité d’autrefois.

Au cours d’une nuit , un entrepôt désaffecté est la proie des flammes. A l’intérieur on y retrouvera les corps calcinés de trois SDF.

L’enquête ne devrait pourtant pas mobiliser longtemps la police, car un homme se livre et s’accuse de cet acte criminel.

 Mais comme toujours chez Pagan, la surface des choses n’est qu’un leurre.

Derrière le crime sordide, les fils d’une conspiration plus vaste s’entrelacent, mêlant pouvoir local, dérives sectaires, manipulation et mysticisme malsain.

Le réel tangue alors parfois, frôlant l’étrange, mais sans jamais basculer totalement, et c’est dans cette zone d’ombre, justement, que Pagan excelle.

Claude Schneider n’est pas un héros flamboyant mais une présence.  Il parle peu, observe beaucoup, agit sans bruit. Ce n’est pas un enquêteur spectaculaire, c’est un homme en retrait, dont la solitude est moins une posture qu’un état intérieur.

 Ancien militaire, déçu des hiérarchies, rétif aux compromissions, il avance en marge de l’institution, porté par un sens de la justice personnel, rigide et presque fataliste.

Il fascine autant ses collègues qu’il irrite ses supérieurs et intimide les puissants.

@milan-malkomes

 Autour de lui gravite une galerie de personnages secondaires attachants et bien dessinés, que l’auteur sait faire vivre avec justesse, entre le troquet du coin et les couloirs du commissariat, dans une routine où percent parfois des éclats d’humanité.

Mais ce qui donne sa vraie profondeur au roman, c’est le style de l’auteur.

Pagan n’écrit pas à la va-vite. Il cisèle ses phrases comme d’autres polissent du cuivre. Les dialogues sonnent vrai, avec une musicalité sèche et des formules inattendues.

L’écriture est à la fois dense et aérienne, mélancolique sans jamais devenir larmoyante, et surtout, elle sait capter l’indicible , un silence entre deux phrases, une tension sous-jacente, une vérité qu’on préfère ne pas nommer.

Certains pourraient reprocher au roman une certaine lenteur, voire son absence d’un suspense haletant. Ce serait pourtant passer à côté de l’essentiel.

Chez Pagan, le polar est un prétexte à scruter les failles du monde, à poser un regard aigu sur une société où les marges s’élargissent et où les puissants, masqués par les apparences, dictent en douce leurs règles.

 L’enquête devient le miroir d’un monde en ruine , celui des petites gens invisibles, des dérives sectaires tapies dans les salons chics, et d’un ordre établi qui pourrit de l’intérieur.

L’Ombre portée est donc moins un roman à dévorer qu’un récit à savourer. Il faut accepter de s’installer dans sa lenteur, de suivre les méandres d’une intrigue parfois secondaire au regard de l’ambiance et des dialogues.

C’est un polar à contre-courant, sans esbroufe ni rebondissements artificiels, mais d’une richesse rare. Et quand on tourne la dernière page, Schneider ne quitte pas vraiment le lecteur.

Il reste là, quelque part, silhouette furtive entre deux lampadaires, témoin fatigué d’un monde qu’il ne cherche plus à changer, mais qu’il refuse de laisser sombrer sans le regarder en face.

 

 

 

 

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