« Avant tout, comme Napoléon, j’ai voulu bâtir ici un bastion de l’invincibilité. Le football, ce n’est pas un fanatisme à Liverpool, mais une religion. Et Anfield est notre sanctuaire. »
Magistral ! Phénoménal ! Je n’ai pas d’autres mots pour qualifier le dernier roman de David Peace, “Rouge ou mort”, qui sera sans aucun doute pour moi le livre de l’année, si ce n’est le meilleur roman que j’ai lu depuis la création de ce site il y a 4 ans.
Car il est peu probable en effet que je croise avant la fin de l’année un livre aussi fort, aussi puissant, aussi émouvant et poétique que celui-ci.
Avec ce roman , David Peace s’éloigne de l’intrigue policière et du roman noir pour nous plonger dans l’histoire passionnante d’un homme qui prendra en mains la destinée d’un petit club moribond végétant en seconde ligue anglaise, pour en faire en l’espace d’une quinzaine d’années l’un des plus grands clubs de football de la planète !
Cet homme c’est Bill Shankly, ce club c’est celui de Liverpool.
Bill Shankly, n’avait rien qui le prédisposait à devenir l’entraîneur mythique qu’il allait devenir, un des seuls à avoir aujourd’hui sa statue à l’entrée d’un stade. Né en Écosse, il avait commencé à travailler au fond de la mine avant de devenir un footballeur de bon niveau. Il joua même pour l’équipe nationale écossaise, sans disposer toutefois de ce petit plus qui fait de vous un très grand joueur.
C’est donc un homme connu dans le milieu footballistique mais sans véritable palmarès à offrir aux supporters qui arrive ainsi à Liverpool. Mais c’est un véritable sorcier qui va s’asseoir sur le banc de touche pour diriger l’équipe.
Car Bill Shankly va faire rentrer à lui seul le football anglais dans le monde moderne. Il sera le premier à mettre en œuvre un entrainement intensif et personnalisé pour ses joueurs, à leur imposer une hygiène de vie stricte, le premier aussi à s’intéresser à l’adversaire en évaluant ses atouts et ses points de faiblesse, adaptant sa stratégie à l’équipe que son club va devoir affronter. Cela semble tellement évident aujourd’hui, pourtant à l’époque c’ était tout bonnement révolutionnaire.
Et c’est avec cette méthode que Bill Shankly va faire d’une bande de bras cassés, une redoutable machine à gagner et du vieux stade d’ Anfield un temple du ballon rond.
La première mi-temps du livre est consacrée à l’odyssée fantastique de cette équipe qui sous la houlette de son entraîneur va d’abord émerger de la seconde ligue pour ensuite arracher trois titres de champion d’Angleterre (64.66.73), deux coupes d’Angleterre (65.74) et une coupe de l’ U.E.F.A (73).
On suit l’entraineur dans son travail quotidien, entrainement après entrainement, match après match, saison après saison. Un travail besogneux, répétitif, avec ses rituels, ses sacrifices, ses épreuves, que l’auteur va traduire sous sa plume par des phrases courtes, répétées elles aussi, martelées jusqu’à inscrire dans l’esprit du lecteur l’âme de ce club qui se construit à la sueur et à l’abnégation. Comme un joueur remontant le ballon par petites touches de balle, David Peace déroule par petites phrases cette épopée héroïque, lui donnant son rythme et sa musique.
Bill Shankly était un meneur d’hommes, qui a su inculquer à son équipe le sens du collectif , celui de sacrifice et cette hargne de vaincre comme unique moteur de leur ambition. Car “quand tu es premier tu es premier, quand tu es second tu n’es rien ” .
C’était un homme pétri d’idéaux et d’humanisme. Il portait en lui une conception socialiste de la société, qu’il revendiquait. De ce socialisme forgé au cœur, nourri du fond de la mine, de la sueur et des larmes, où la solidarité et le dévouement aux autres rend plus fort et fait tenir debout contre vent et marrée.
C’est d’abord à cela que s’attache à transmettre David Peace en brossant le portrait de cet entraîneur. L’écrivain s’intéresse moins au club qu’à cet homme et à la façon dont il a articulé sa vie autour d’un objectif ultime, la victoire.
Non pas de celles égoïstes, comme une fin en soi, qui nourrirait une satisfaction personnelle. Mais de celles que l’on obtient pour les autres et qui la rend plus belle. De celles que l’on partage, que l’on va chercher pour ceux qui ne peuvent pas mais qui sont là, jour après jour, à croire en vous et à vous supporter de toute leurs forces, dans le succès mais d’abord dans l’adversité.
Une victoire pour les autres, pour le peuple de Liverpool, pour le Kop, le Spion Kop d’ Anfield , l’antre des supporters des Reds ! C’était cela la magie de Bill Shankly, magnifier le football pour l’offrir en communion au public de ce club de prolétaires. Ne faire des joueurs qu’un seul joueur, des supporters qu’un seul homme, LIVERPOOL, LIVERPOOL, LIVERPOOL.
On ne saura jamais vraiment les raisons qui ont poussé Bill Shankly à mettre brutalement un terme à sa carrière d’entraineur. Officiellement pour passer plus de temps avec sa femme. Toujours est il qu’il décida de le faire en 1974 auréolé d’une coupe d’Angleterre et passa la main à son bras droit Bob Paisley qui poursuivra l’œuvre de son ami emmenant plus haut encore le club au firmament de sa légende.
Débute alors la seconde mi-temps du roman de David Peace. Sans doute la plus émouvante, la plus poignante.
On découvre un homme qui continue à vivre pour le football, qui ne peut s’en défaire, et qui repense à ce qu’il a vécu à la tête de ce club.
Mais c’est un homme seul, que les dirigeants de son ancien club commence à oublier, tandis que dans le cœur des supporters continue à brûler la flamme de la reconnaissance. Car eux n’oublient pas. Ils n’oublieront jamais tout ce que Bill a fait pour eux, pour le club.
Et on découvre un Bill aimant auprès de sa femme, un Bill accessible pour le peuple comme il l’a toujours été, qui prend soin de répondre personnellement aux centaines de lettres qu’ils reçoit encore, comme il l’avait toujours fait.
Bill va au stade, partage ses souvenirs avec les supporters. Bill écrit ses mémoires, téléphones à ses amis entraîneurs des autres clubs, assiste aux entraînements de Liverpool.
Reviennent les petites phrases courtes, martelées à l’infini. Mais cette fois-ci elles ont le son du tic tac du temps qui passe. Bill s’occupe, aide des jeunes qui viennent taper à sa porte pour jouer avec lui.
Mais bill s’éloigne, tout doucement.
Et un jour Bill s’en va , pour de bon. 1981
Si les anglais ont inventé le football les écossais l’ont transcendé. Shankly, Busby, Ferguson trois entraîneurs écossais qui ont écrit les plus belles pages du foot britannique.
A travers “Mort ou Rouge” c’est un brillant hommage que David PEACE rend non pas à ce sport, mais à l’un d’entre eux, à cet homme venu de nul part marquer de son empreinte indélébile l’esprit et l’âme d’une ville ouvrière du nord de l’Angleterre.
Un homme dur à la tâche, mais terriblement proche de ses joueurs et des gens, qui à partir de bric et de broc, de quelques couteaux et fourchettes disposés sur sa table de salon pour simuler un match à venir, est parvenu à construire une des plus belle légendes du sport en s’appuyant sur des valeurs qui parcouraient encore le monde de l’époque.
C’est un peu de cela qui est parti avec Bill Shankly, cette société où les valeurs de solidarité, d’efforts et d’abnégation tournées vers l’intérêt général avait encore un sens . Tout ce que Thatcher qui arrivera au pouvoir en 79 , balayera et broiera avec son libéralisme outrancier, en cassant les syndicats, en brisant les mineurs et le monde ouvrier, en mercantilisant tous les rouages de la vie, auquel n’échappera pas le monde du football.
Aujourd’hui, nous dit David Peace dans une interview ” le football est la métaphore de l’exclusion et de la destruction des classes travailleuses “.
Liverpool est toujours un grand club, immensément riche, fort d’un stade ultra moderne , mais dont les joueurs sont aujourd’hui des mercenaires internationaux, et où le prix des places est dissuasif pour l’ouvrier.
Alors, reste l’âme de Shankly qui hante les tribunes ET dont la statut vous accueille à bras ouverts à l’entrée du stade, et qui vous murmure à l’oreille “You’ll never walk alone ” ( “vous ne marcherez jamais seul).
David Peace signe un roman magistral, humaniste et poétique. Un de ceux qui vous marque pour longtemps, un de ceux que l’on oublie jamais.
Après quelques mots de Shankly, des images de l’époque retraçant l’épopée de Liverpool
“You’ll never walk alone ” ( “vous ne marcherez jamais seul) l’hymne des supporters de Liverpool
Et si vous voulez commander le livre , c’est par ici ( frais de port 1€ seulement)
Waouh! quel beau billet! J’avoue beaucoup hésiter sur celui-ci, car je le fiche comme d’une guigne du football et j’ai peur que cela n’entrave ma lecture…
merci Tasha ! C’est vrai que c’est un roman qui se situe dans l’univers du football, et bien sur qu’on y parle de football, mais c’est surtout l’histoire incroyable d’un homme qui est racontée dans ce roman de David PEACE. Peace est sans doute l’un des plus grand auteurs britannique contemporain qui s’est fait connaitre avec ses romans policiers et qui là nous offre une autre facette de son talent. Certains critiques litteraires ne connaissant rien au football on adoré le livre ! Par contre le style est très particulier comme je l’indique, il faut rentrer dans la musique de ses mots.;)
quelle chronique !!! après çà je ne peux pas faire autrement que de courir chez mon libraire ! En tout cas voilà sans doute un esprit que l’on ne reverra pas, surtout pas dans le foot quand on sait la place qu’y a pris l’argent.
eh oui malheureusement, je ne sais pas si ce genre de conception du sport existe encore dans le football, dans les petits clubs sans doute, dans les grands je suis moins sûr! le foot est devenu une marchandise comme les autres!
Je pense qu’il n’y a rien à ajouter, cet avis est magnifique et rend un formidable hommage à ce roman. Amitiés
whaouuu ! c’est super gentil à toi Pierre !! je sais combien tu as aimé ce roman toi aussi ! Nous avons cet auteur en commun toi et moi !!
Suis pas sûre que ce soit un thème pour moi…même avec ta chronique si élogieuse. 🙂
le football forcément ca rebute beaucoup de monde. Mais comme je l’indiquais dans ma réponse à Tasha, ce n’est pas un livre sur le foot mais sur un homme extraordinaire qui a su magnifier ce sport et emmener avec lui une bande de bras casssés dans une des plus belles aventure sportive qui soit. C’est le travail de cet homme, son rapport à ce sport, sa conception de la vie et de la société de ce personnage hors norme qui nous est raconté là. Pour moi c’est assurément le bouquin de l’année ! 😉
Bonjour, alors moi c’est l’inverse, je nai pas du tout accroché, mais pas du tout! Le style de david peace est indigeste, martelé de répétitions jusqu’a l’overdose. J’ai tenu 100 pages, je n’ai pas pu continuer. Dommage, l’histoire semblait bien, mais la façon de le raconter est trop… Particulière. Je passe mon chemin…. Pourtant tout le monde encense ce livre, bizarre.
je ne suis pas surpris de lire ce genre de commentaire. Il est vrai que l’écriture de David Peace est très particulière, mais c’est justement ce que j’aime beaucoup dans ses livres et dans celui ci en particulier. Le fait que toutes ces phrases soit répétées encore et encore, a un sens. C’est la technique qu’à choisi l’auteur,pour figurer ce long travail lent et besogneux pour parvenir au sommet.Je comprends que cela puis agacer certains. si je prenais une image je dirai que c’est un peu comme les vagues , soit on prend cela de face et l’on s’épuise à la lecture, soit on se laisse porter et on fini par entendre cette petite musique finit par en émaner.La seconde partie du roman, celle consacrée à la période où Shankly a quitté le club est beaucoup forte émotionnellement, plus poignante. e roman peut paraitre déconcertant par le style adopté, mais si on arrive à s’en imprégner alors le plaisir de lecture est immense.Dans le cas contraire, on risque fort de ne pas aimer, comme ce fut le cas pour toi. J’espère malgré tout que tu redonneras sa chance à cet écrivain !! As tu lu d’autres de ses romans? En particulier les premiers ? Je te les conseilles, ils sont plus classiques dans leur forme mais très bons aussi. Amitiés
Un magnifique billet écrit à l’encre de la passion !
On en termine la lecture galvanisé par ton exaltation avec l’envie de découvrir le portrait pétri d’humanité d’un ” orfèvre ” du football .
L’Angleterre de cette époque rappelle le film ” Les virtuoses ” ou le cinéma très particulier de Ken Loach .
J’ai beaucoup aimé cette chronique-là ! Amitiés
🙂
Merci ! merci ! Merci Françoise ! si je t’ai donné l’envie de lire ce roman alors j’ai atteint mon but !!! 🙂 Je n’ai pas vu les virtuoses ( faudra que je comble cette lacune !) par contre j’adore le cinéma de Ken Loach ! tu l’as compris ce bouquin m’a enthousiasmé ! Peace est sans doute mon écrivain préféré ! le seul auteur qui à chaque roman qu’il écrit arrive à chaque fois à me surprendre! je me dis ” là c’est très fort, il ne fera jamais mieux”, et pourtant si ! alors tu comprends que je me dise, vivement le prochain !:)
Je te rejoins complètement.
Un auteur à lire, passionnant, exigeant, et qui ne peut laisser indifférent. Il n’y en a pas tant que ça dans le paysage littéraire actuel.
On aime ou on n’aime pas mais sa passion, son investissement dans l’écriture nous oblige aux mêmes efforts et à nous forger une opinion. C’est déjà énorme…
salut Jérôme ! c’est vrai qu’ils sont plutôt rares les auteurs contemporains qui arrivent à provoquer quelque chose chez le lecteur ! Et comme tu le dis fort justement, apprécier ce genre de plume demande un minimum d’effort de la part du lecteur, mais la récompense en vaut bigrement la peine ! 🙂
Content de voir que tu as aimé. J’appréhende toujours un peu car le style est si particulier qu’il peut laisser du monde à la porte. Le genre de bouquin qu’on ne peut que adorer… ou totalement détester. En tout cas pour moi aussi, ce livre s’impose de loin comme le meilleur lu depuis longtemps. (J’en profite pour glisser deux autres coups de coeur qui méritent aussi une lecture. Le très sympathique, drôle et frais “Un fantôme dans la tête” de Alain Gagnol, et “A mains nues” de Paola Barbato chez Denoël Sueurs froides qui est un livre extraordinaire. Voilà, tu as mon trio de tête de cette année 2014 🙂
salut l’ami ! Comme tu le dis si bien Peace est un auteur qui ne laisse pas indifférent, on aime ou on deteste, mais quand on aime fichtre que le plaisir est grand !Pour les deux autres bouquins que tu cites, le premier il me semble qu’on m’en avait proposé le service presse mais je l’ai décliné faute de temps pour le lire ( j’ai trop de livres en attente d’être lus) et lez pitch ne m’avait pas accroché. Visiblement j’ai eu tort ! 🙂 Pour le second je ne le connais pas du tout mais je vais me le noter tout de suite car je viens d’aller lire le pitch et vin diou il m’accroche bien celui là !!! Merci pour tes conseils ! moi j’attends fin decembre pour arreter definitivement mon trio car je pense que j’en ai encore un ou deux sous le coude qui m’ont l’air bien ! Amitiés 🙂
Bonjour. Nouveau sur le blog, j’en feuillette les chroniques. En plus des polars, je suis aussi amateur de foot. Comme vous, j’ai été hypnotisé, envoûté, par le style lancinant de David Peace. Un roman à part dans la collection. Un roman à part tout court. Bonne continuation. JM
Bonjour Joël ! désolé de te répondre tardivement mais je n’avais pas vu ton commentaire ! toutes mes excuses ! tu evoques David Peace, sache que c’est tout simplement mon auteur préféré et justement pour la palette de style que l’auteur est capable de mettre en oeuvre ! son roman sur le foot est magnifique ! pour le style je te conseille de lire “Tokyo ville occupée” car dans ce bouquin tu verras l’auteur en utilise plusieurs et l’exercice est tout bonnement remarquable ! A bientôt j’espère ! 😉