Depuis que j’ai fait la connaissance de Janis OTSIEMI avec son roman “Le chasseur de lucioles”, j’avoue avoir une affection toute particulière pour cet écrivain. Le genre d’auteur dont je me passerai facilement de l’énigme de ses histoires, pour ne m’intéresser qu’à ses mots, à la sonorité de ses phrases, à la magie des atmosphères africaines qu’il esquisse du bout de sa plume. L’homme à cette faculté a vous envoûter et de vous transporter jusque sur son continent, où vous vous réveillez soudain au milieu des rues gorgées de chaleur d’une ville d’Afrique.
Si vous vous laissez porter par son texte, si vous prêtez l’oreille, vous entendrez les bruits de moteurs de ces vieilles bagnoles qui brinquebalent sur des routes cabossées par le temps, vous verrez les fumées s’échappant des pots de vieilles mobylettes qui surgissent devant vous avant de disparaître dans les artères de la ville, en slalomant au milieu des bus et des camions poussifs. Sans doute serez vous bousculé par quelques piétons qui tiennent en équilibre sur des trottoirs trop étroits, peut être même serez vous éblouis par les couleurs de la ville hurlante et mouvante. Vous êtes bien à Libreville ! Capitale du Gabon, capitale de la débrouille.
La débrouille, le capitaine Koumba et son adjoint Owoula tous deux flics à la P.J, connaissent bien et la pratique avec un art consommé. Et il faut bien déployer des talents d’ingéniosité pour rendre les locaux décrépis , les vieilles machines à écrire qui n’en finissent pas de mourir, et le manque criant de moyens, supportables. Heureusement pour eux le travail ne manque pas, entre une affaire de vol de chéquier dans les poches d’un ministre, celle d’un accident qui à couté la vie à une mère et son enfant dont l’auteur à pris la fuite, et une sordide affaire de pédophilie, les voilà toujours par monts et par vaux.
Plus loin dans la ville, le corps d’un homme est retrouvé sur une plage, aux abord du palais présidentiel. La victime a été abattue de deux balles dans la gorge et deux doigts de sa main gauche ont été sectionnés. Spécialistes des affaires sensibles touchant à la sécurité nationale ou à la stabilité de l’Etat, les gendarmes Louis Boukinda et Hervé Envame se voient confier par le procureur de la République, cette délicate affaire.
Car la victime s’avère rapidement être un reporter, de l’espèce la plus redoutable qui soit, celle du journalisme d’investigation. Un fouineur qui avait donc l’habitude de fourrer son nez dans les affaires nauséabondes. Or dans sa poche on retrouve la douille d’une balle issue d’une arme ayant servi à un autre meurtre impliquant le ministre de l’Intérieur, fils du président en personne.
Dès lors la presse flaire le scandale, la présidence s’inquiète des répercussions politiques à un an de nouvelles élections. C’est avec cette pression sur les épaules que les deux hommes essayent de démêler les fils de cette histoire. Tout à leur enquête ils vont finir par croiser la route des deux officiers de la P.J. Car les petites affaires s’emboîtent parfois dans les grandes.
Janis OTSIEMI est un témoin de son temps. Avec un regard acide mais réaliste, il dresse un portrait sans concession de l’Afrique et de son pays le Gabon, rongés par la corruption et la magouille, le népotisme et la compromission. Tête de pont de la françafrique sur le continent, le pays voit ses richesses s’évaporer sous son nez au profit de quelques élites corrompues tandis que le reste du pays vit de la débrouille.
Si ce roman est moins poétique que le précédent, en plongeant le regard de son lecteur dans les poubelle politiques de son pays, l’auteur en livre une vision sociale encore plus exacerbée de la réalité gabonaise. Une société où chacun survit comme il peut, où les flics font avec les moyens du bord, n’hésitant pas à pratiquer le “mange-mille” (racket) pour arrondir les fins de mois, tout en mettant toute leur opiniâtreté et la conviction de leur fonction pour résoudre des affaires criminelles.
Dans à ce contexte de fin de règne ( “Baby Zeus”, s’apprête à succéder à son père Omar Bongo après 40 ans à la tête du pays) , Janis OTSIEMI souligne aussi le délicat et complexe jeu d’équilibre que commande le melting-pot tribal pour maintenir à la ville et au pays sa cohésion. Une tambouille maison qui a fait ses preuve, qui passe par des postes réservés en fonction de l’appartenance ethnique, mais qui suscite aussi beaucoup de frustration tant elle laisse de côté le mérite des gens qui peuvent y prétendre.
Un roman moins poétique donc, parce que sans doute aussi plus politique. On aurait peut être aimé justement que l’auteur approfondisse un peu plus ce sujet.Il n’en reste pas moins quecela reste un roman efficace, où l’on retrouve avec délice ces pages qui dépeignent cette population de Libreville pleine d’ingéniosité, avec des personnages aux pratiques parfois déroutantes, mais que l’on dévore toujours avec autant de gourmandise. Encore une fois la magie de l’auteur opère.
Un polar en Afrique , voilà qui me tente surtout si “l’atmosphère” est bien traduite car autant que l’intrigue c’est ce que j’apprécie dans un polar, et comme c’est bientôt mon anniv ce titre risque d’allonger ma liste…..
Bonjour Cath ! C’est un dépaysement complet que d’entrer dans un roman de Janis OTSIEMI, mais si tu en as la possibilité n’hésite pas à lire ( et même avant pour découvrir toute la magie de sa langue) ” Le chasseur de lucioles” en plus de celui ci ! Bon anniversaire alors !!!!!! A très bientôt j’espère ! 🙂
Un peu d’analyse politique gabonaise ne saurait être inutile, cher Bruno… D’autant qu’avec ce pays, la Françafrique est la formule qui convient.
Amitiés.
tu as tout à fait raison CLaude !! 🙂 mais c’est vrai que poétique ou politique, ou les deux à la fois, un roman de Janis c’est toujours une sacrée ballade hors des sentiers battus ! Il fait du bien cet auteur ! Amitiés !
oui oui je sais, lui aussi est dans mon programme de lecture à plus ou moins long terme.
Gridou en Afrique ! voilà un beau programme en perspective ! tiens moi au courant quand tu l’auras lu ! 🙂
Bonjour Bruno
C’est toujours un plaisir de retrouver un roman de Janis Otsiemi, même si celui-ci est moins poétique ou délirant que ses précédents. Mais toujours une belle description de la politique corrompue de son pays. Et à cela on pourrait trouver une certaine ressemblance avec des romans américains, genre Jim Thompson, ou James Hadley Chase, mais sans ce côté savoureux des néologismes et expressions locales. Je sors du sujet, mais si on lit Raphaël Confiant par exemple, on trouve aussi des néologismes comme Esclavitude, Charmanceté, Hautaineté… Et si l’on se réfère à Ségolène Royal qui avait été chambrée il y a quelques années pour son Bravitude, il ne faut pas oublier qu’elle est née non loin de Dakar et a vécu en Martinique… Ceci explique peut-être cela, mais les journalistes et hommes politiques d’opposition ne cherchent pas à comprendre et bien entendu les gogos se laissent prendre au piège de la dérision et de la moquerie.
Amitiés
alors là tu m’apprends vraiment quelque chose que j’ignorai totalement !!! Merci mon ami Paul !!! Et oui, lire un bouquin de Janis, c’est sentir le soleil sur sa peau, mais si dehors il pleut ! 😉
Hello, le petit Mulot !
Puisque tu me dis “aie confiance” je vais tâcher de me pencher sur cet auteur et le découvrir un peu mieux !
Merci pour ta chouette chronique (c’est dangereux, une chouette, pour les petites souris, non ?) 😀
Merci !!!! oui c’est dangereux une chouette pour une souris, mais pas autant que fréquenter un Cannibal Lecteur !!! 🙂 content de ton choix , tu me diras quand tu l’auras lu ! A très vite! 😉
Je suis vraiment et définitivement fan de Janis. C’est à chaque fois un plaisir de lecture et un dépaysement total ! et en plus, quand il rend hommage au maitre Ellroy ! Amitiés
nous sommes deux mon bon Pierre ! mais nous avons tellement en commun toi et moi ce n’est pas surprenant ! 🙂