« Ah que le hasard fait parfois bien les choses ! » Combien de fois dans notre existence n’avons-nous pas prononcé ces quelques mots pour souligner un moment inattendu, riche de joie imprévue, de perspectives ou d’opportunités inespérées ? Sans doute que Jeff Sutton, chauffeur de taxi de son état, les a-t-il un jour prononcés lui aussi.
Sans doute que c’est même ce qui lui est venu à l’esprit lorsque celui-ci, qui ne vient habituellement pas charger de clients à l’aéroport, tente sa chance ce soir-là et décroche une course qui le conduit dans les beaux quartiers de la ville avec une belle commission à la clé !
Pourtant, il arrive parfois que ce hasard vienne jouer les grains de
sable dans nos existences bien ordonnées, qu’il nous projette alors dans un tourbillon cauchemardesque où nous ne devenons plus que les pions d’un scénario écrit par d’autres mains, que nous ne maîtrisons pas et où l’on tient forcément le plus mauvais rôle.
Plongez dans le shaker de la vie celle d’un innocent, rajoutez-y comme ingrédient une police que se fourvoie, un avocat commis d’office minable, une meute journalistique qui crie la mise à mort, un juge décidé d’en finir promptement, un couloir de la mort comme cadre de vie et un tueur psychopathe comme seule compagnie, et secouez le bien fort. Vous obtiendrez alors un cocktail à l’aspect sombre et au goût particulièrement amer.
Quand les flics déboulent dans son appartement et lui passent les menottes pour le conduire prestement au poste de police, l’existence ordinaire et bien rangée de Jeff Sutton prend fin. Lui qui se faufilait dans la vie sans jamais se faire remarquer, dont les balises de son existence résumaient à sa lessive du mercredi soir, sa distraction quelconque du jeudi et à l’engourdissement du vendredi soir, se retrouve embarqué malgré lui dans le grand huit judiciaire américain.
La vie n’est qu’une question de perspective. Les actes quotidiens de l’existence, comme déposer une cliente devant sa demeure, la suivre jusque chez elle car elle n’a pas assez d’argent pour vous régler, s’intéresser à ses fenêtres le temps qu’elle trouve sa monnaie à l’étage, en vous rappelant que vous en posiez dans une autre vie professionnelle, sont des choses bien anodines. Tout comme le fait de nettoyer à la vapeur les banquettes de votre taxi, parce que l’une des deux jeunes filles éméchées que vous avez accepté de transporter officieusement après votre service, a eu la bonne idée d’y déposer le souvenir de ses excès éthyliques.
Mais vu sous le prisme de la police qui cherche à mettre la main sur le kidnappeur d’une fillette et à retrouver le corps de cette dernière, les choses prennent une tout autre signification ! Des empreintes sur les vitres de la victime, des preuves que l’on efface à la vapeur, et les jeunes filles alcoolisées qui auraient été transportées qui sont introuvables. Il n’en faut pas plus pour faire enfiler le costume de coupable à Jeff Sutton. Et il lui va si bien !
Le roman de Iain Levison est une charge contre le système judiciaire américain. Une de plus diront certains. Sans doute, mais la force de ce roman réside dans le fait que le personnage principal semble accepter sa déchéance avec résignation, pour mieux la supporter. Il n’est en rien révolté, ne s’insurge pas contre le tort qui lui est fait, il subit en observant toute l’absurdité d’un système qui le détruit. Il est le témoin de cet acharnement aveugle. Jeff n’est pas un héros, juste un type ordinaire tiré de sa vie banale de chauffeur de taxi pour servir de faire valoir à une justice spectacle qui réclame son dû.
C’est cette résignation de cet individu broyé, habillé de sa seule ironie, qui rend la charge de l’auteur encore plus efficace, car tout combat est inutile.
Ce qui est important n’est pas de savoir si vous êtes innocent, mais de savoir si vous avez les moyens de l’être. Quand la situation de Jeff prendra finalement une
autre tournure, ce sera grâce au potentiel financier qui pourra être retiré de son affaire par un grand cabinet d’avocats qui aura flairé le bon coup. Car la société américaine est ainsi faite, à toute chose malheur est bon ! Le souci de justice et d’équité n’est qu’accessoire .
Un roman puissant, percutant par la mise à nue d’un système qui ne se remet jamais en question, qui broie coupable comme innocent, à seule fin de rassurer une société qui ne veut pas douter d’elle-même, et qui démontre qu’il y a parfois plus d’humanité à partager en prison qu’à l’extérieur dans cette société prétendument civilisée.
« Quel monde merveilleux ce serait si les ignorants étaient un peu moins sûrs d’eux » dira Jeff. Tout est dit.
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À noter que le film a été adapté au cinéma avec un film signé Gilles BANNIER et qui sortira le 6 janvier prochain. À noter que si l’action du roman se déroule aux États Unis, celle du film est campée en France.
La chronique de mon ami Claude Le Nocher ICI et celui de ma copine Dasola ICI
Merci Bruno
Un film très prometteur… et un roman de grande qualité.
Amitiés.
espérons qu’il ne soit pas éclipsé par les mastodonte US , Star wars en tête ! 🙂
Suspense
C’est tout à fait le genre de lecture qui te sied. Noir à souhait 🙂
Chronique efficace et c’est pas le hasard qui a bien fait les choses sur le coup là 🙂
Bisous
oh merci Nath ! tu m’en laisse quand tu veux des commentaires comme celui-là 😉 et en plus tu connais bien mes goûts ! 🙂
Bonsoir La petite souris, merci pour l’info sur le film adapté. J’ai eu l’info par ailleurs il y a très peu de temps. Sinon, le roman vaut la peine. Bonne fin d’après et excellentes fêtes de Noël.
je te souhaite de très bonnes fêtes à toi aussi, et de trouver pleins de bons romans sous ton sapin !! 😉
Mon mulot à moi !
Un petit boulot et Arrêtez-moi là! sont deux romans que j’ai énormément appréciés. Un film, pourquoi pas ? Je guetterai sa sortie ici en Belgique. Sans ta chronique qui me donne d’ailleurs une envie de relecture, je serais passé à côté de cette info. Je te souhaite, à toi et Coco, j’espère vous voir tous les deux un jours, une très belle année 2016. Bises.
Bonsoir Jean ! merci pour ces petits mots qui me vont droit au coeur ! j’espère effectivement un jour avoir l’occasion de te rencontrer autour d’un verre ou d’un bon repas ! mais je suis sur que ce jour viendra ! Un petit boulot est aussi un excellent bouquin de l’auteur que je n’ai pas chroniqué d’ailleurs ! il me faudra le relire pour corriger cet oubli facheux !!! quant au film je ne sais pas encore si en ce qui me concerne j’irai le voir. je suis rarement satisfait des adaptations cinématographiques des romans que j’ai lu. Nous verrons bien ! je te souhaite à mon tour une belle année 216 !!! et oh veinard , Coco te fais un bisou dis dont !!! 😉