Je dis souvent qu’un bon auteur, à fortiori un grand écrivain, se reconnait à sa capacité à transcender un sujet éculé et à donner à son lecteur cette jubilation qui fera qu’en refermant son livre, il aura malgré tout cette satisfaction d’avoir lu un sacré bouquin.
Prenez un trou paumé de la campagne anglaise. Une jeune fille sortie promener son chien qui fera une mauvaise rencontre et ne rentrera pas vivante de sa ballade ; un garçon violent, impulsif et dérangé qui a vécu seul avec sa mère jusqu’à sa mort ; un riche notable père de l’adolescente assassinée ; un flic dont la dernière enquête a été un fiasco et un journaliste rincé, ex-star de la presse londonienne et qui revient s’enterrer chez lui.
Rajoutez-y des secrets bien enfouis dans la mémoire des habitants du coin et les paysages sauvages de cette contrée anglaise et vous aurez les ingrédients d’une histoire mainte fois racontée, mais que va pourtant magnifier avec brio un Benjamin Myers particulièrement inspiré.
Alors, ne résistez pas à son invitation, suivez-le dans cette ruralité tellement sombre de ce coin d’Angleterre. Un lieu où tout le monde se connait, se sert les coudes et où tout est tu. Un endroit où le mal s’est répandu comme une mauvaise herbe rampante, et dont le lecteur finira par découvrir les putrides racines.
La force première de Benjamin Myers est son écriture. Un style débridé qui s’affranchit des virgules, et quelques fois du verbe, comme pour donner l’impression que rien ne peut ralentir l’enfoncement dans cet univers morbide dans lequel glisse progressivement le lecteur.
C’est le choix d’une construction narrative singulière, plaçant celui-ci tantôt du côté des « mauvais », tantôt des « bons », n’offrant aucun un suspens (le coupable étant connu d’emblée) mais invitant au décorticage d’une mécanique insidieuse et perverse.
C’est aussi cette capacité extraordinaire à faire rentrer en résonance les paysages, immenses, vides, parfois désespérants, décrits de manière magistrale, et la profondeur de cette noirceur qui les hante.
Ce sont enfin les personnages qui imprègnent durablement la mémoire.
À l’image de Steven Rutter, un être malsain, monstrueux, plus animal qu’humain, porté par ses pulsions destructrices. Une bête puante et crade, qui n’éprouve aucune empathie pour la vie.
Là encore, le talent de Benjamin Myers opère. L’auteur ne se contente pas de nous donner une vision extérieure et superficielle du monstre, mais nous offre une plongée vertigineuse dans son esprit malade et atrophié, remontant dans ce qui fut son histoire, pour découvrir un être plus maléfique que lui : sa mère.
Une mère, matrice de sa vie et de sa déchéance, qui n’a eu de cesse de le torturer psychologiquement y compris après sa mort, pour engendrer l’immonde créature qu’il est devenu.
Et dans cette communauté, de nantis et de miséreux, certains sauront manipuler à leurs profits les penchants violents et funestes de Steven Rutter, pour assouvir leurs propres perversités cachées sous le vernis de la respectabilité. Ce personnage n’est pas sans rappeler celui de Mc Cormack dans « un enfant de dieu ».
« Dégradation » est un roman vraiment réussi , loin d’être la énième resucée d’une thématique épuisée. Myers montre, ne dissimule rien, ne se fait jamais moralisateur. Il donne à voir une communauté en déliquescence, dissèque l’origine du mal.
Dès lors certaines scènes sont crues, dures, violentes, sans jamais plonger le lecteur dans un voyeurisme gratuit.
Beau travail d’écriture que celui que signe là Benjamin Myers. Certains disent qu’il y a du David Peace dans sa plume.
Alors, quant à l’idée de lire son prochain roman, on s’en réjouit par avance !
Salut mon ami, tu as tout dit. C’est glauque mais en même temps tellement brillant dans la forme et révoltant dans le fond. Un grand premier roman et comme toi, j’attends le prochain. BIZ
un super roman à lire en effet ! une très bonne surprise et un auteur à suivre assurément ! 🙂