" Tout au fond de moi, j'ai une boule de colère qui me tient chaud "
Amy a 18 ans. Avec un « derrière large comme une Chevrolet », elle n’est pas du genre à faire se retourner les garçons sur son passage. C’est d’ailleurs pour son poids que ses camarades la surnomment Chevy.
Qu’importe, car elle a pour elle une intelligence supérieure et une détermination farouche à vouloir s’extraire de ce trou perdu du fin fond de l’Ohio dans lequel elle vit depuis sa naissance.
Dans l’attente d’une bourse universitaire qui lui permettrait d’entamer des études vétérinaires, elle continue de fréquenter son lycée, faisant fi des remarques désobligeantes et des regards moqueurs.
Dans cette région ravagée par la désindustrialisation et les fermetures de mines, les gens survivent comme ils peuvent. Beaucoup sont partis, d’autres sont restés par manque de moyens, ou par attachement à leur terre.
C’est le cas de la famille d’Amy, qui vit dans un mobile home, accrochée à son lopin de terre.
Entre un père minable et alcoolique, une mère à fort caractère qui parfois s’absente la nuit pour ramener un peu d’argent, Amy s’occupe de son petit frère, Stonewall. Un gosse mal fini, qui passe plus de temps à brailler et faire des crises d’épilepsie qu’à gazouiller et sourire au monde qui l’entoure.
Pour Amy, il ne fait aucun doute que la malformation de son frère vient de cette eau polluée qu’ils consomment quotidiennement depuis que l’industrie du gaz de schiste a fait main basse sur la région, ravageant les sous-sols à coup de fractions hydrauliques et d’injections de produits chimiques.
Si son père n’avait pas cédé aux sirènes de cette industrie en louant son terrain, peut être que les choses auraient été différentes. Mais peut-on refuser un peu d’argent quand votre vie est engluée dans la misère ?
En attendant de pouvoir un jour quitter cet univers sombre et échapper au déterminisme social qui la menace, Amy construit patiemment son rêve en se rendant utile auprès du vétérinaire du coin, en préparant son dossier de bourse avec l’aide de son oncle Tom, tout en fréquentant le peu d’amis qu’elle a.
Parmi eux, Paul. Ils ont grandi ensemble. Entre eux une vraie complicité, une relation qui oscille entre amitié et amour, sans trop vraiment savoir.
Un soir il vient la trouver, lui parle du projet fou de déclarer la guerre à Demont, l’entreprise de gaz de schiste qui saccage leur vie, en faisant sauter un réservoir de la compagnie.
Si Amy refuse dans un premier temps, elle finit par accepter et par suivre Paul dans son expédition punitive, sans se douter qu’elle en reviendra criminelle.
Car l’affaire tourne au drame, le coup d’éclat entraînant la mort d’un homme.
Pour Amy, tout peut s’écrouler, ses rêves d’un avenir meilleur risquent fort d’être les victimes collatérales de cette erreur de jeunesse.
Mais elle tient de sa mère ce caractère endurci, qui lui a permis jusqu’ici de braver l’adversité. Et elle est bien décidé à tout faire pour que rien ne vienne entraver le destin qu’elle s’est choisi d’accomplir.
Puisque pour elle il n’est pas question de finir en prison, Amy devra prendre des décisions douloureuses pour préserver ce rêve qu’elle caresse depuis si longtemps.
John Woods nous offre une histoire qui plonge au cœur de cette Amérique blanche, dézinguée par la crise économique, ravagée par la pauvreté et la drogue, à qui il ne reste plus que la haine de l’autre comme raison d’être, et le chacun pour soi comme mode de survie.
C’est sombre, brutal, mais diaboliquement passionnant ! Le sujet de ce déclassement, de cette déshérence d’une partie de la population américaine, en perte de repères et d’espérance a déjà été mainte fois abordé. Mais sous la plume de John Woods, elle prend un relief tout particulier.
Ce roman c’est d’abord celui de cette jeune fille grosse, qui n’attend rien des autres, nourris à la dureté de la vie, et dont l’univers laisse peu de place à la tendresse, même si l’affection n’y est pas totalement absente, et que ses parents aspirent à ce qu’elle réussisse à atteindre le but qu’elle s’est fixé.
Un grand-père ancien cadre du Ku Klux Klan, dont le souvenir tient à cette photo de famille où l’on distingue en arrière-plan un noir pendu à un arbre, un oncle suprématiste et survivaliste qui lui offrira une arme à feu, un père trop faible pour assumer son rôle de chef du foyer qu’il délaisse à sa femme.
C’est dans cette atmosphère familiale particulière qu’évolue Amy, qu’elle a appris à se construire une carapace protectrice, à cultiver cette force et cette détermination à fuir la misère, la haine et le dégoût dans lesquels elle baigne depuis l’enfance, et à rendre coup pour coup.
On n’éprouve ni empathie ni antipathie pour Amy, qui dévoile son vécu au fil des pages, sans doute parce qu’elle ne nous laisse pas véritablement entrer dans son intimité.
Il n’y a pas de héros dans ce livre, juste des êtres humains dont les routes se croisent, pour le meilleur, mais surtout pour le pire.
John Woods nous dresse des portraits somptueux, inoubliables, parfois inquiétants, comme celui de ce flic Hasting qui racontera en parallèle à celle d’Amy, sa propre histoire et sa propre conception de la vie.
Personnage particulièrement trouble, nourrit aux grands philosophes qui pourtant finira par avoir une vision primaire du monde, où la seule justice qui vaille c’est celle du plus fort. Un être flippant tant sa folie et sa violence affleurent la normalité de sa vie quotidienne de bon père de famille.
Roman noir par excellence, « Lady Chavy » est un livre où il est difficile de cerner la frontière entre le bien et le mal, dont l’histoire est ancrée sur une terre où l’humanité se désagrège aux ravages de la crise, et où la violence peut apparaître comme l’unique échappatoire pour s’en sortir.
Retenez donc bien ce nom de John Woods, car c’est sans aucun doute un auteur dont on reparlera sûrement dans les prochaines années, tant la maîtrise de son texte, la profondeur de ses personnages l’originalité de scénario et la subtilité de son écriture, font de lui une des plumes américaines du roman noir des plus prometteuses.
Un excellent roman.
ACQUISITION : SERVICE PRESSE
quelle chronique ! je suis de plus en plus fan de la collection Terres d’Amérique. Je suis en train de lire “August” de Callan Wink, j’aime bien ! bonne journée !
bonsoir Guillaume ! merci bien ! atu as raison ” Terres d’Amérique” est une excellente collection. Tu évoques ” August” de Callan Wink. je l’avais vu à sa sortie, le pitch m’avait interessé mais je n’avais pas franchi le pas. Si tu me dis qu’il est bien je vais sans doute le rajouter dans ma liste d’achat. Mais pas sur que je le lirai tout de suite avec la pile à lire qui m’attends ! 🙂
Très chouette chronique en effet, même si je l’ai lue en diagonale, venant d’ajouter ce titre sur mes étagères…
Tu passeras j’en suis sûr un bon moment de lecture ! j’attendrai ton retour de lecture ! 🙂
Bonjour,
Merci pour cette chronique. Je viens de finir le livre, il est vraiment époustouflant !
Je n’oublierai pas Lady Chevy et Hastings de sitôt. Tous les personnages croisés dans le texte sont complexes, notre perception évolue en permanence, on arrive à tous les comprendre, au moins en partie, même cet oncle qui a l’air complètement allumé mais qui aime sa nièce et est un soutien pour elle.
C’est aussi le premier roman qui évoque la fracturation hydraulique pour l’extraction du gaz de schiste que je lis. Là aussi, grâce à l’auteur, on arrive à toucher du doigt le dilemme des habitants d’une région pauvre pris entre la pollution de leur environnement et une rente versée par l’industrie gazière.
Comme dit dans les messages précédents, la collection “Terres d’Amérique” est passionnante.
Ah je suis heureux que ce roman t’ait plu Nico, en même temps le contraire m’aurait étonné. je suis déjà curieux de lire son prochain roman pour savoir si le talent ezst confirmé , mais je suis très confiant à ce sujet !
Eliza Griswold dans Fracture (editions Globe) évoque aussi les conséquences de la fracturation. Ce qui git dans ses entrailles, de Janet Haigh, Gallmeister, aussi. Cela peut t’intéresser, ce sont d’excellents romans.
Lady Chevy est noir de chez noir, j’ai aussi beaucoup aimé, pourtant ce n’est pas mes lectures habituelles.
bonjour Keisha ! je note les deux titres que tu me signales !J’ai fait un saut rapide sur Gallmeister, celui de Janet Haigh bien que paru en 2017 ne me semble pas être sorti en poche je crois. faudra que je le deniche en occasion. Pour le livre d’Eliza Griswold, j’ai l’impression qu’il ne s’agit pas d’un roman mais d’une enquête je me trompe? en tout cas je les notes car c’est un sujet qui m’interesse, et je serai passé complètement à côté d’eux sans ton conseil avisé !
oui le Chavy est vraiment très noir et très bon, j’ai hâte de lire son prochain pour voir l’entendue de son talent !
Amitiés