J’ignore ce que sera l’année 2022 en termes de qualité littéraire. Mais si elle est à l’image du « blues des phalènes » de Valentine Imhof aux éditions du Rouergue, alors il faut s’attendre à un grand millésime. Car ce roman en sera sans coup férir, l’un des ouvrages les plus marquants !
Découverte et appréciée à l’occasion de ses deux premiers livres ( « Par les rafales » et « Zippo »), Valentine Imhof quitte les terres du polar pour pénétrer de manière fracassante sur celle du roman noir, pour nous offrir une œuvre aussi ambitieuse que magistrale.
C’est à travers le destin de quatre personnages qu’elle nous livre une vision de l’histoire des États-Unis à l’aube de son hégémonie mondiale, bien loin des clichés hollywoodiens qui nous inculquent depuis de décennies cette image d’une Amérique où chacun aurait sa place et sa chance.
Car l’auteure vient nous rappeler que le rêve américain s’est d’abord construit sur le cauchemar des plus faibles et des plus démunis, soumis, exploités, broyés par un système déjà voué au dieu dollar, et qui les relègue à une existence de misère, de sueur et de sang.
C’est sous le prisme de la vie de ces « petits » qu’elle éclaire cette période.
Celle de Milton, fils d’une famille bourgeoise avec laquelle il a rompu les liens, qui s’isole du monde dans une mine d’or désaffectée pour peindre et essayer désespérément d’écrire une lettre.
Arthur, ancien vétéran de la guerre des Boers et de la Première Guerre mondiale,tourmenté par ce qu’il y a vécu et commis.
Pekka, jeune femme d’origine scandinave à l’optimisme inébranlable, bien décidée à se réinventer chaque fois qu’elle change de nom.
Nathan, jeune garçon au passé déjà imprégné de sang qui accroche sa vie aux wagons parcourant le pays.
Ils ne se connaissent pas, mais ont en commun d’avoir été les témoins de la catastrophe, qui en 1917 ravagea la ville d’Halifax et qui resta jusqu’à Hiroshima, la plus grande explosion engendrée par l’homme, quand un navire bourré d’explosifs en percuta un autre.
Des êtres à vifs, à la vie éclatée, comme si l’onde de choc de ce drame s’était propagée au plus profond de leurs âmes, les projetant sur les routes et contre les murs de l’histoire.
Car de ce désastre aux années 30, Valentine Imhof nous fait parcourir les États-Unis, d’est en ouest, de l’exposition universelle de Chicago à la naissance des portraits du mont Rushmore.
Mais elle nous montre surtout, à travers le destin de nos quatre protagonistes, l’envers du décor de cette Amérique qui se veut triomphante.
La misère, les maladies, l’exploitation des ouvriers agricoles ou des dockers de San Francisco, la violence de la police, du patronat ou des milices.
Valentine Imhof est centrée sur les personnages plus que sur les évènements historiques, dans lesquels Milton, Arthur, Pekka, Nathan et les autres sont précipités et dont ils subissent la violence inouïe. Elle donne à voir les désastres humains et sociétaux qui découlent de ces moments qui façonnent ce pays.
Grâce au talent de l’auteure, le lecteur perçoit la moindre de leurs tensions, pénètre leurs blessures psychologiques, quand ce n’est pas ressentir leurs douleurs physiques.
Et dans ce monde brutal et traumatisant, on s’adapte pour survivre, on serre les coudes ou on se bat contre l’autre pour rester vivant.
Dans ce paysage, rien de manichéen, personne n’est innocent. Les victimes sont aussi des bourreaux, tous ont du sang sur les mains.
L’écriture de Valentine Imhof est magnifique. Loin de suivre un tic-tac linéaire, la construction de son roman est à l’image de ses personnages, éclatée. On passe d’un visage à un autre, d’une époque à une autre, de la côte est à la côte ouest, comme un kaléidoscope, sans jamais perdre son lecteur, grâce à une maîtrise en tout point remarquable.
Et dans cette noirceur et cette violence sociétale, parfois émerge la lumière.Des instants fugaces de bonheur, des moments poignants d’humanité qui donnent la force de continuer à avancer, à l’image de de la relation entre Nathan et Steve, un hobos qui le prendra un temps sous son aile protectrice.
Le souvenir de ces personnages hantera longtemps l’esprit du lecteur.
Il y a des mots qui ne disent rien. Ceux de Valentine Imhof chantent, soufflent ou grondent.
Avec « le blues des phalènes » elle démontre tout l’extraordinaire talent de conteuse qui est le sien.
Assurément le roman noir est sa terre de prédilection, elle est faite pour raconter l’histoire des hommes.
« Le blues des phalènes » est un très grand roman . A ne surtout pas passer à côté !
ACQUISITION: SERVICE PRESSE
Oh que oui !
😉
Hello.
Superbe chronique qui m’avait donné envie de lire le livre et que j’ai relue une fois le livre fini.
J’ai particulièrement aimé la narration qui fonctionne un peu comme un tableau impressionniste.
Ça m’a fait penser à “trois mille chevaux vapeur” d’Antonin Varenne que j’avais adoré et qui a deux suites : “Équateur” et “la toile du monde”. Tu les as lus ?
Salut Nico. Ah oui, ce roman est fantastique, avec cette explosion en plein milieu du roman qui envoie les personnages de par le monde, avec leurs cicatrices. C’est marrant que ça t’ai rappelé Antonin Varenne, auteur que je vénère. 3000 chevaux vapeur, quel livre ! Et à travers sa trilogie, quel peinture d’un siècle qui se termine et un autre qui démarre avec les mêmes erreurs. Valentine et Antonin, c’est parmi le Top en France ! Amitiés
Content que la chronique t’aie plu Nico ! Pierre ta répondu pour Antoine Varenne, grand auteur là aussi ! Comme quoi en France on a la chance d’avoir des écrivains de talent qui n’ont vraiment rien à envier aux amerloc et autres scandinaves ! 🙂
Bonjour,
Madame Imhof a un vrai talent singulier.
J’ai été impressionnée par son premier roman « Par les rafales » (que vous aviez chaudement recommandé, à juste titre!)
Merci de votre précieux travail.
bonsoir Sylvie, merci beaucoup pour votre message ! si vous n’avez pas encore lu ” Le blues des phalènes”, alors vous allez vous régaler !!!! surtout n’hésitez pas à revenir me faire part de votre ressenti de lecture !! 🙂 A très bientôt j’espère !
Un très grand roman, oui. Beau, fort, à la construction et à l’écriture remarquables.
bonsoir Simone. Je ne sais pas si tu avais lu ses deux premiers romans. Je les avais pour ma part beaucoup aimé. Mais là je trouve qu’avec ” le blues des phalènes” , Valentine Imhof impressionne vraiment et révèle pleinement tout le talent qui est le sien ! j’ai déjà hâte de lire son prochain !!! 😉
Euh … Halifax c’est au Canada, non ?
Tout à fait