LES ABATTUS

17 juin 2020

Roman de

Noëlle Renaude

Édité chez

Rivages

Date de sortie
12 février 2020
Genre
Roman noir
Pays de l'auteur
France
Avis

La vie mérite-t-elle d’être vécue ? C’est la question que pourraient se poser les personnages de cet incroyable roman de Noëlle Renaude.

Bienvenue dans l’univers étrange de cette auteure, qui signe ici son premier ouvrage, et qui va vous entraîner dans une histoire curieuse, où la banalité des vies mornes, prises dans le béton du désespoir d’un quartier populaire, va se conjuguer avec l’horreur de faits divers singuliers.

“ Les abattus” c’est d’abord une atmosphère particulière, qui semble engluer les gens là où ils vivent, une sorte de muraille invisible et floue qui confine les existences misérables dans cet espace neutre.

Aucun repère géographique, quasiment aucun nom de protagonistes. Des vies nues, dans un quartier aux descriptions minimalistes. Des anonymes dans une ville qui l’est tout autant.

Et c’est de ces lieux incertains que le narrateur évoque son existence.

Trente ans d’une vie écrite à l’encre poisseuse d’un destin plombé par la pauvreté.

Deux frères ainés qui le martyriseront enfant, un père alcoolique qui un jour partira et ne reviendra plus.

Un autre qui prend sa place, qui au début donnera le change avant de s’enfoncer lui aussi peu à peu dans les sables mouvants d’une vie de misère, avec pour seule lumière la naissance d’une fille.

Mais celle-ci s’estompera bien vite à mesure qu’elle grandira et s’avèrera aussi bête que moche.

La mère finira par trouver son échappatoire dans l’alcool avant de choisir un chemin plus radical.

Ainsi va la vie dans cette famille, qui ne cessera de se désagréger au fil du temps.

Lui prendra un appartement tout en gardant le lien avec son beau-père et sa demi-sœur, quand l’un de ses frères ira fonder une famille ailleurs, sans quasiment plus donner signe de vie.

Quant à l’autre frangin, il disparaîtra un temps, avalé par la délinquance.

Mais tout au long de ces années sans relief, la mort va rôder. Car va venir s’agréger autour de la vie terne du narrateur bien des événements tragiques, à commencer par l’assassinat des voisins du dessus.

Cette nuit-là, il a entendu quelque chose. Mais il n’en dira rien. Tout juste suivra-t-il de loin l’arrestation d’un homme présumé coupable et les procès qui en découleront.

Pourtant, s’il parlait peut-être pourrait-il l’innocenter. Mais qu’importe, il ne se sent pas plus concerné par ce fait divers que d’autres qui arriveront bien après.

Car notre narrateur est un personnage qui fait preuve d’un incroyable détachement au monde, et qui traverse la vie dans une certaine léthargie. Une somnolence qui n’appelle aucune révolte, aucun cri face à la condition qui est la sienne.

Une vie qui s’écoule, sans relief, sans but, et un horizon qui n’offre aucun point de fuite.

Avec un passé inutile, un futur mort-né et un présent camisole, il se laisse porter au fil de cette vie sans aspérité, où son ciel est vierge de toute étoile.

Et quand le monde extérieur semble vouloir pénétrer le sien, il offre une façade si lisse que rien ni personne ne peut parvenir à le saisir.

La magie de Noëlle Renaude ne tient pas seulement à son écriture, mais aussi, et surtout à l’intelligence et l’originalité de la construction de son roman.

Découpées en trois parties qui se répondent, elles changent au passage de l’une à l’autre l’angle de vue du lecteur. Un jeu de perspective qui permet de comprendre que dans cet univers d’une banalité à mourir, se cache en fait une réalité bien plus complexe qu’il n’y parait, à mesure que se découvre la part d’ombre des différents personnages.

Peuplé de vivants, de morts et de fantômes, « Les abattus » est un monde où les corps et les âmes abdiquent et s’estompent à mots feutrés, emportés par la renonciation et la malchance qui collent à leur condition.

Et parmi eux ce narrateur, spectateur de ce qu’il subit, mais qui au final adapte toujours son existence aux évènements qui le bousculent.

De ce roman on retiendra cette atmosphère particulière où le temps s’’est arrêté au quotidien déprimant des gens qui ont le désespoir coulé dans la résignation, et cette galerie de personnages hors du commun par leur banalité .

De cette famille désarticulée, où l’amour est un luxe qu’on ne peut s’offrir, au flic qui cherche à savoir et  rôde à la lisière de la vie du narrateur comme la mort autour de ce quartier, en passant par un notaire atypique qui colore un peu ce décor monochrome.

Premier roman particulièrement réussi et qui sera sans doute une des plus belles découvertes de cette année.

À travers cette histoire à l’horizon barré, aux destins scarifiés, Noëlle Renaude a finalement beaucoup de choses à dire !

4 Commentaires

    • La petite souris

      Ah cool alors si on est du même avis !! 🙂

      Réponse
  1. titoulematou

    bien tentant cet article !!
    Merci , je note le titre pour mon prochain passage en librairie !!

    Réponse
    • La petite souris

      Merci beaucoup, j’espère que vous aurez autant de plaisir que moi à le lire ! 🙂

      Réponse

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