Les auteurs aiment parfois à faire s’entrechoquer des mondes qui habituellement se frôlent ou s’ignorent, et qui portent l’un pour l’autre à la fois un dégoût et une certaine fascination. Le polar parce qu’il explore les zones de friction et d’interaction de notre société, offre un terrain de prédilection pour ce genre d’expérience.
Dans « Que dieu me pardonne », Philippe Hauret se prête ainsi à l’exercice à travers des personnages qui n’ont a priori rien en commun si ce n’est de vivre sur la même planète sans habiter le même monde. Des parcours et des histoires personnelles, diamétralement opposés qui ne devraient jamais se croiser et qui vont pourtant se télescoper pour nouer un destin dévastateur.
Il y a Kader, un jeune de banlieue englué dans son ennui et son désœuvrement, qui vit au jour le jour de petits larcins et de petits trafics, en compagnie de ses potes à l’avenir déjà mort-né.
Dans son quartier, son seul rayon de soleil, c’est la belle Mélissa, une jeune femme bien décidée à pousser les murs de sa cité pour s’en extirper et s’offrir d’autres horizons.
Kader en est amoureux. Mais Mélissa ne sait que trop bien le genre d’avenir que Kader peut lui offrir, un avenir bien trop petit en tout cas pour ses rêves d’émancipation.
A quelques encablures de là, un autre lieu, un autre monde. Celui de l’argent qui coule à flot, de la vie facile, du faste et des paillettes. Un monde qui lui, brille.
C’est celui de Ryan, un bourgeois qui ne pense qu’aux bolides et à la vitesse, seul survivant au crash du Cessna familial quand il était plus jeune, et qui fit de lui l’héritier d’une grosse fortune. L’accident n’a pas été sans conséquence psychologique pour lui, empreint parfois de réactions impulsives et violentes.
Au milieu de ces deux mondes, Mattis, un flic ténébreux, qui connait bien Kader pour avoir déjà eu affaire à lui. Il l’aime bien Kader. Il sait que ce n’est pas un mauvais bougre, juste un pauvre gamin né du mauvais côté de la barrière sociale.
Lui non plus d’ailleurs n’est pas sale type, à l’inverse de Dan son coéquipier raciste qu’il ne supporte pas. Lui aimerait bien aider Kader, quand son collègue ne pense qu’à le serrer pour l’envoyer derrière les barreaux. Pour Mattis, chacun a droit à une seconde chance, lui le premier peut être.
Alors quand il convoque Ryan pour un énième excès de vitesse, lui vient l’idée de donner un coup de pouce à Kader pour qu’il s’engage sur un autre chemin. D’autant que celui-ci vient d’écoper de six mois avec sursis pour le cambriolage d’une supérette de quartier, et qui, sans garde-fou, risque fort de retomber dans ses travers.
C’est ainsi qu’il propose un deal à Ryan : embaucher Kader pour un petit boulot d’été en échange de l’oubli de cet excès de vitesse. Un deal gagnant-gagnant pour les deux parties.
Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’à travers cette bonne volonté à vouloir faire œuvre utile, il vient d’allumer la mèche d’une véritable bombe à retardement qui risque de tout emporter quand elle va exploser.
Les destins se croisent. Ceux de Mélissa et de Ryan dont elle va faire la connaissance, miroir aux alouettes de cette vie tant rêvée. Ceux de Kader et de Rosine l’épouse de Ryan, femme délaissée et lassée d’une vie creuse et sans aspérité.
Et dans ce mélange d’univers qui ne prends pas, nos deux tourtereaux de banlieue, pris dans la toile de leurs propres rêves, captés par la lumière, mal armés face à un monde trop grand pour eux, vont y brûler les ailes de leur naïve et touchante innocence.
J’avoue qu’au début de ce roman, imprégné de la quatrième de couverture et de ce que j’avais pu en lire ici ou là, je me demandais si tout ça n’était pas un peu caricatural. L’histoire de ces deux jeunes de banlieue qui voient leur rêve d’une vie plus belle broyés par la réalité d’un monde qui les dépasse, plutôt convenue.
Caricatural aussi les personnages. Le bourgeois forcément retord et pervers à souhait, avec cette femme malheureuse de nager dans le fric à ne quoi savoir qu’en faire ! Idem pour ce duo de flic, l’un raciste vociférant et l’autre humaniste et empreint d’empathie pour son prochain.
En refermant le livre, non, je ne trouve pas. En tout cas pas sous la plume de Philippe Hauret, avec qui tout ça prend une certaine épaisseur et un certain relief. Avec talent l’auteur met en place un piège infernal autour de ses personnages, une machine bien huilée qui broie les illusions et les espérances et renvoie à cette condition qui fait baisser la tête.
Au final il y a sans doute plus d’humanité dans cette frange de la société mise à l’écart où les âmes perdues errent en quête d’un bonheur insaisissable, que dans celle bien-pensante et bien organisée, celle des nantis, qui croient que le monde se conquiert par le pouvoir et l’argent.
Mais dans ce choc des deux mondes, Philippe Hauret laisse tout de même entrevoir un filet d’optimisme qui donne un peu de lumière à ce roman noir et sociétal plutôt réussi.
Salut mon ami, on est bien d’accord sur ce roman moins simple qu’il n’y parait, plus vicieux qu’il n’y parait. Amitiés
salut Pierre ! je n’avais pas lu son premier, je me rattrape avec celui ci ! 🙂