Hier j'ai trouvé un revolver. Ou peut-être l'ai-je volé, je ne sais pas trop. Je ne connais rien d'aussi beau, rien qui se cale aussi bien dans la main. Je n'avais jamais eu d'attirance pour les armes à feu, mais à ce moment là, la seule pensée qui m'habitait, c'est qu'il me fallait ce revolver
Il déambule, anonyme, une canette de café chaud dans les mains, promenant son ennui dans les rues électriques de la ville. Sa solitude en bandoulière, sa vie qui raisonne du vide abyssal qui la remplie, il marche sans jamais trop savoir ce qu’il veut vraiment: Rejoindre ses coreligionnaires ou rentrer chez lui, accompagner son ami Keisuke pour lever une fille et coucher avec, comme pour faire acte de présence dans un monde qu’il observe mais dont il ne se sent pas vraiment faire partie.
C’est sans doute pour cela qu’il préfère les rues sombres de Tokyo à celles vomissantes de lumières, où l’existence se cloue sur de larges panneaux publicitaires et se consomme plus qu’elle ne se vit .
C’est au cours d’une de ces sorties déambulatoires à la périphérie de ce monde en mouvement perpétuel , qu’il pénètre dans un parc désert et mal éclairé, où la pluie froide se déverse avec lassitude.
Et qu’il trouve cet homme au sol, la tête baignant dans une marre de sang.
Pas d’étonnement, ni de panique. Pas d’empathie ni d’aide à offrir. Juste le temps suspendu, jusqu’à ce que son regard accroche cet objet métallique qui semble briller comme une lune dans une nuit sans étoiles, à côté de ce corps sans vie. Et l’attraction qui opère immédiatement. La main qui se tend et qui ramasse.
Cette arme, si belle, et qui semblait l’attendre.
Courir rentrer la mettre à l’abri. La découvrir, la caresser, lui offrir un écrin de tissus. Parcourir sa peau métallique, les lignes parfaites de ses formes, et ressentir un trouble, un émoi, comme la naissance d’un sentiment amoureux qui ne l’avait jamais atteint.
Jusqu’au plaisir, la jouissance.
Jusqu’à ce que le monde ne soit plus qu’une abstraction.
Quel étrange roman Nakamura Fuminori offre là à son lecteur. Une histoire a priori somme toute banale, d’un jeune qui ramasse une arme dans la rue et qui va progressivement le captiver, l’obnubiler et pour finir par prendre possession de lui.
Avec un style épuré, une description sèche et quasi clinique de la transformation de son personnage, nous assistons à l’évolution si particulière qui se noue entre ce jeune au cœur presque éteint, indifférent aux autres, qui se donne l’apparence d’une vie sociale pour mieux se rendre transparent, et cet objet létal qui exerce sur lui une fascination inquiétante.
Car au fil des jours il ne peut plus se séparer de sa trouvaille avec laquelle il fait corps. Elle l’accompagne sur le campus, dans la rue, tandis que germe progressivement en lui cette idée, cette envie d’utiliser les trois balles qu’elle possède en elle, prête à enfanter le chaos.
Le fera-t-il sur une bouteille? Un chat pris au piège? Une femme?
Le lecteur découvre peu à peu le parcours de ce jeune, Nishikawa, et ressent ce malaise qui va crescendo à mesure que chemine en lui cette idée d’utiliser son arme. Un malaise qui est d’autant plus fort que l’histoire de ce garçon, se fait jour au fil des pages, donnant quelques clés quant à la compréhension de cet égarement au monde. Ira t-il jusqu’au bout ? Fera t-il usage de son arme? Décider n’est pas tout. Le hasard a aussi son mot à dire.
Roman angoissant , tant le fil est tenu entre l’intention et le passage à l’acte, roman glaçant par le détachement avec lequel ce jeune chemine dans sa réflexion, le tout magistralement orchestré par Nakamura Fuminori qui ancre toute la construction de son récit autour de la psychologie de son personnage renforçant ainsi le malaise de son lecteur, et vous avez là un vrai petit bijou d’écriture.
Tu décris fort bien l’ambiance particulière de ce livre. Ça ferait presque froid dans le dos. .. brrr
c’est tout l’interet de ce bouquin! tout se joue sur cette atmosphère de malaise qui s’instaure au fil des pages. Pas la peine de scènes spectaculaire pour engendrer l’angoisse ou le frisson. La preuve ! 🙂
Belle chronique ! J’avais sélectionné ce roman et attendais d’en savoir plus pour me le procurer . C’est chose faite , cette page tombe à point nommé .
Adopté !
Merci Merci 😉
je suis le mulot qui tombe à pique alors ! 🙂 N’hésite pas, celui ci croit moi tu n’en sortira pas déçue ! 🙂
Je note ce titre, mon mulot. Reconnais-le, quand il s’agit d’écrire, tu le fais avec brio.
Une question: l’ouvrage est-il une simple description clinique du parcours de ce jeune ou ressent-on des émotions à sa lecture ? La bise.
merci Jean ce compliment me va droit au coeur.Rovolver, c’est, tu l’auras compris, un livre vraiment à part. Tout le talent de l’auteur étant avec un style simple et sans fioriture, sans introduire du spectaculaire dans son texte,à imprener son lecteur d’un malaise diffus, à rendre plus glaçant encore la situation qu’il décrit. En fait c’est surtout le lecteur qui va ressentir des émotions ( le personnage n’en est pas dépourvu mais il a une distance au monde qui l’entoure qui le rend presque insaisissable. En tout cas un chouette bouquin que j’ai beaucoup aimé.Je pense que tu l’aimerais aussi. Amitiés
j’avais découvert avec plaisir “Pickpocket”. Ce nouveau roman m’a l’air bien zarbi. Tu piques ma curiosité Bruno !
laisse toi tenter !!!! 😉