Il aura donc fallu dix ans de patience aux inconditionnels de David Peace pour découvrir le dernier opus de sa trilogie japonaise.
Entamée avec « Tokyo année zéro » en 2008, et poursuivie avec « Tokyo, ville occupée » en 2010, elle trouve sa conclusion aujourd’hui avec « Tokyo revisitée » publié aux Éditions « Rivages ».
L’attente fut extrêmement longue, au point que d’aucuns pouvaient se demander si ce troisième tome finirait par voir le jour.
La patience du lecteur est aujourd’hui récompensée. Non seulement cet ultime volume est enfin paru, mais il clôt de manière magistrale cette plongée dans le Japon de l’après-guerre et vient confirmer que David PEACE est véritablement un auteur majeur.
Comme les deux précédents ouvrages, « Tokyo revisitée » trouve son point d’ancrage dans une affaire toujours non résolue à ce jour, qui avait défrayé la chronique en son temps et marquée fortement les esprits.
Nous sommes en 1949. Le Japon, vaincu, est occupé par les troupes américaines. Le pays a du mal à se remettre de cette humiliation. Les stigmates de la guerre sont encore visibles dans les rues et les quartiers de Tokyo.
Sadanori Shimoyama est un homme discret. À la tête des chemins de fer, il a eu à cœur de restructurer sa société complètement désorganisée au sortir du conflit, pour la rendre efficace et faciliter la reconstruction de l’économie encore exsangue.
Pourtant, voilà qu’on lui impose de licencier plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Autant dire que l’homme est de fait particulièrement impopulaire et détesté des syndicalistes et certains politiques. Une haine dont peuvent témoigner les nombreuses affiches placardées sur les murs de la ville réclamant sa tête.
En ce mois de juillet, celui-ci disparaît soudainement. Son corps sera retrouvé complètement déchiqueté et éparpillé sur les voies de chemin de fer .
Suicide ? Meurtre ? C’est le début d’un mystère qui va hanter tout un pays pendant des décennies.
Comme à son habitude, le roman de David Peace n’a rien de linéaire. C’est à travers trois personnages que sera menée l’enquête sur cette mort inexpliquée, et ce, sur une amplitude temporelle assez longue.
En 1949, c’est l’inspecteur Harry Swenny qui entame les investigations, secondé par des policiers japonais.
Swenny est un Américain du genre dépressif et alcoolique, capable de se montrer très violent, et qui se demande bien ce qu’il fait au Japon, tellement il se sent en décalage dans ce pays si éloigné de sa propre culture.
Il va néanmoins essayer de résoudre ce drame, sans y parvenir. Car d’indices en fausses pistes, il finira par se perdre dans les méandres d’une affaire qui le dépasse.
Nous voilà ensuite projetés quinze ans plus tard, en 1964. Le Japon accueille les Jeux olympiques.
Un détective privé Murota Hideki est recruté par un éditeur pour retrouver la trace d’un écrivain qui a disparu avec l’avance qu’il avait reçue pour son prochain manuscrit.
L’homme, Kuroda Roman, prétendait dévoiler le nom du coupable de l’assassinat de Sadanori Shimoyama dans son futur roman.
Murota Hideki , ex-flic révoqué reconverti en privé, va donc s’intéresser à son tour à l’affaire . Mais c’est un homme torturé, instable, aux prises avec le fantôme de sa femme, et qui joue avec les frontières de la folie qui va lui aussi échouer à découvrir la vérité.
Enfin, le troisième homme.
1989. L’empereur se meurt. Le pays retient son souffle, assiste à sa longue agonie, pendu aux bulletins de santé publiés chaque jour.
Donald Reichenbach, est un ancien traducteur de 74 ans qui a aussi travaillé pour une agence américaine du renseignement. Au détour d’une rencontre avec une femme qui lui demande s’il se souvient de l’inspecteur Harry Swenny, le voilà ramené au drame de 1949, et à son propre passé d’agent de la CIA.
Ses actions de l’époque l’ont toujours poursuivi à travers des cauchemars incessants.
C’est dans cette ultime partie du roman que se trouvent quelques clés pour assembler certaines pièces du puzzle. Mais la vérité reste là encore insaisissable.
David Peace clôt magnifiquement cette trilogie entamée il plus de quatorze ans.
Comme pour les deux précédents opus, c’est à partir d’une affaire criminelle qui hante encore les esprits japonais qu’il construit son récit.
Un prisme à partir duquel il dissèque la société japonaise de l’après-guerre et la transformation de cette dernière au contact de l’occupant, puis dans son retour dans le concert des nations.
Car à travers cette affaire, c’est l’évolution lente et compliquée d’un Japon qui peine à suturer ses plaies, marqué par son passé et l’empreinte américaine qui lui imposa une nouvelle organisation politique si difficile à assimiler.
Ainsi la mort de Sadanori Shimoyama n’aurait pu être qu’un simple fait divers si elle ne s’inscrivait pas dans ce contexte si particulier. Le Japon n’a toujours pas droit au chapitre et ne s’est pas encore remis de la guerre, pris entre la culpabilité et l’humiliation de l’occupation.
Mais le monde continue de tourner, et les Américains sont déjà tout à leur combat contre l’expansion du communisme ,en particulier en Asie. Et le pays se retrouve être un enjeu de ce nouveau conflit.
C’est pour lutter contre les syndicalistes de gauche que l’ordre sera donné au patron des chemins de fer de licencier autant de cheminots.
Suicide, meurtre crapuleux ou assassinat politique commis par des communistes ou de nationalistes nippons, les hypothèses sont toujours aussi nombreuses.
Dans le roman de David Peace, les trois investigations successives se répondent dans une atmosphère qui mêle plusieurs temporalités et vacillent entre réalité et hallucination.
Cette enquête labyrinthique qui vire à l’obsession pour cette vérité qui ne se livre pas est servie par l’écriture magistrale de l’auteur, avec cette prose scandée si particulière qu’on lui connait.
Une prose qu’il convient d’oraliser pour en apprécier toute la perfection et la musicalité.
La plume est envoûtante et entêtante même si elle ne se laisse pas aborder si facilement. L’œuvre de David Peace n’a rien du roman de gare, elle se mérite, elle interpelle son lecteur dans ce qu’elle l’oblige à trouver son chemin dans ce mystère qu’il lui donne à lire.
Si personnellement j’ai une petite préférence pour « Tokyo, ville occupée » dont l’exercice de style et la charge poétique sont impressionnants, « Tokyo revisitée » est un texte particulièrement remarquable, qui donne une fin aboutie à cette trilogie unique en son genre !
Assurément, pour moi du moins et en toute subjectivité, David Peace est un des plus grands auteurs contemporains.
PS: je remercie au passage mon ami Thierry, il sait pourquoi.
ACQUISITION: SERVICE PRESSE
J’ai eu la chance d’assister à une rencontre avec l’auteur lors de sa parution, je suis une grande fan de Peace. Mais si j’ai lu Tokyo, année zéro, il me manque Tokyo ville occupée à lire avant d’entamer celui-là..
Veinarde que tu es ! si tu n’as pas encore lu ” Tokyo ville occupée ” alors tu vas te regaler ! pour moi c’est le meilleur de la trilogie ! époustouflant au niveau de l’écriture ! j’ai pris un énorme plaisir le jour oùù je l’ai lu !! il me tarde ton retour quand tu en auras fait autant ! 🙂 j’ai eu la chance de croiser l’auteur, mais pas en conférence hélas ! c’est vraiment un des plus grands écrivains contemporains !
Très tentant ! Je ne connais absolument rien, ni l’auteur, ni cette trilogie !
bonjour Violette ! David PEACE c’est un moment du roman noir anglais, avec un style bien à lui. Il s’est surtout fait connaitre en France avec son Quatuor du Yorkshire (les titres sont :1974, 1977, 1980 et 1983, éd. Rivages). Il a écrit de sublimes romans aussi su le football. La trilogie Japonaise est excellente (mon préféré étant “Tokyo revisté” qui est un exercice de style incroyable.). Pour le découvrir je te conseil de commencer par son quatuor ! 😉