C’est un jeune homme de 22 ans dont la vie tourne mal. Un braquage qui vire au drame où Joseph Kamal voit son frère partir sous les balles de la police. C’était la seule famille qui lui restait.
Tribunal et case prison. Les barreaux sur l’horizon, la crasse, la violence et la promiscuité comme quotidien. Des jours, des semaines et des mois à subir la brutalité, à devoir s’adapter à cet univers carcéral où il apprend à baisser l’échine.
« Le soir me trouve sur la même chaise, il n’y a plus qu’une immense fatigue. (…) Je voudrais tellement être désincarcéré de ces ténèbres. »
Puis arrive la catastrophe.
Nucléaire.
Un cataclysme qui raye de la carte une partie de la France et de l’Europe. Kamal survit et s’enfuit, s’enfonce dans ce no mans land condamné à s’abstenir des hommes.
Une nouvelle vie commence. La solitude comme un baume ses plaies, le silence comme refuge. Et cette immense sensation de liberté inspirée à pleins poumons. Cette impression enivrante de retrouver la maitrise des choses, le pouvoir d’être roi.
Une ferme perdue à partir de laquelle il bâtit son univers avec pour compagnie un mouton et une chatte, et la nature pour cadre. Son quotidien est fait d’errements, et de pillages de centres commerciaux abandonnés, et d’un immuable isolement.
"Il n'est pas dans un pays étranger, mais dans un pays parallèle.
Un monde sans ces hommes et ces femmes-ci.
Un monde de chênes et de pins, un monde qui griffe, qui chante, qui cailloute et cogne avec le soleil, un monde qui bruisse sous l'eau, et maintenant broute. C'est dans la grande Zone du contre-monde, son domaine à lui".
Mais ce besoin de solitude est intenable. Au fil du temps son humanité se dissout dans l’absence de l’Autre, il disparait au monde. Renvoyé et asservi à sa condition humaine il reste étranger à cette nature dans laquelle il a pourtant trouvé la paix. Son univers, obsessionnel, se resserre, ayant de plus en plus de mal à se fixer des règles de vie auxquelles s’en tenir.
Cet exil devient peu à peu une souffrance, et une nouvelle forme d’enfermement.
Il aurait voulu qu'il neige. Pour que la neige camoufle la terre, le potager au repos. Qu'il neige pour couvrir sa pensée, que le blanc étouffe le chagrin .
« Trois fois la fin du monde » de Sophie Divry, est assurément une de mes meilleures lectures de ces derniers mois.
Un roman atypique, brutal et dur dans sa première partie, avant d’offrir au lecteur des pages d’une poésie souvent magnifique dans la seconde moitié du livre, dans la description de cette nature pensée comme salvatrice, et un lieu sans haine.
À partir d’un incident nucléaire dont on ne sait à peu près rien, Sophie Divry interroge sur notre rapport à l’Autre , sur la solitude et la liberté.
Nous suivons donc ce jeune qui, somme toute, développe une certaine résilience et une adaptabilité aux différentes situations auxquelles il est confronté.
De la solitude au milieu des autres dans l’univers carcéral, à celle d’un monde vidé des hommes, le jeune Jospeh finira par comprendre que vivre avec les autres est un enfer, mais vivre sans eux l’est tout autant.
N’existons-nous pas finalement que dans le regard de nos paires, notre vie et notre liberté n’ont-t-elles pas de sens que dans l’interaction avec eux ?
Ce roman n’est pas sans rappeler Robinson Crusoé. Mais à l’inverse du magnifique roman de Michel Tournier, dans celui de Sophie Divry, point de Vendredi. Celui-ci ne viendra pas pour apporter à Joseph cette humanité qui le ramènerait à la civilisation.
Le passage par l’auteur, du « je » au « il » dans la deuxième partie du roman, souligne sans doute d’ailleurs que cette absence de semblable, au final déshumanise plus qu’elle ne rend libre le jeune Joseph.
Je ne connaissais pas Sophie Divry, je la découvre à travers ce roman immersif et crépusculaire, à la tension dramatique parfaitement maîtrisée. L’écriture est envoûtante, tantôt brutale, tantôt contemplative, et la justesse psychologique du personnage remarquable.
C’est donc une très belle trouvaille pour moi ! J’espère qu’il en sera de même pour vous si vous ne la connaissez pas encore !
J’ai absolument adoré ce livre très intelligent, remarquable sur bien des plans, dont l’écriture n’est pas le moindre, et ce sujet si bien abordé de l’isolement, l’enfermement, etc…
Ah que cela me fait plaisir de savoir que tu as beaucoup aimé ce roman !!! moi je l’ai eu un tête un long moment ! c’est pour cela que j’ai laissé passé plus d’un an avant d’en faire une chronique. Je découvrais aussi l’auteur pour la même occasion et que je ne connaissais pas !! une vraie découverte !! 🙂